En poursuivant nos rencontres avec des personnalités impliquées dans la Révolution, abordons un cas spécifique : Jean-Baptiste CHAMPION de CICE (1725-1805), dernier évêque d’Auxerre, qui en fut un adversaire résolu mais éphémère. La suppression de son diocèse en 1790 le surprit alors qu’il séjournait en Allemagne. Il y resta et y mourut.
L’itinéraire de ce prélat nous intéresse puisque notre petite région était partie intégrante de l’ancien diocèse d’Auxerre, dans la matrice duquel la baronnie de Donzy était née et avait prospéré. Cet évêché historique, dont le temporel considérable n’était pas fait pour plaire aux révolutionnaires, fut supprimé par l’Assemblée constituante en 1790. Son territoire fut rattaché pour l’essentiel à Sens, vieille métropole ecclésiastique. La majeure partie de l’ancien Donziais ayant été versée dans le département de la Nièvre releva dès lors du diocèse de Nevers. Les liens ancestraux entre Donzy et Auxerre, déjà bien affaiblis par cinq siècles d’administration comtale puis ducale à Nevers, étaient définitivement rompus.
En 1823, l’archevêque de Sens, dont le diocèse étendu correspondait au département de l’Yonne, fut autorisé à relever le titre d’évêque d’Auxerre. Plus tard, les archevêques de Sens-Auxerre se réinstallèrent dans la cité de Saint Germain, mais sur un pied plus modeste : le palais épiscopal (XIème-XIIIème) au chevet de la cathédrale St-Etienne, dominant la rivière, était devenu la Préfecture, par décision de l’Empereur.
Fils d’un conseiller au Parlement de Bretagne – sgr de Cicé à Bruz, au bord de la Villaine ; une terre érigée en baronnie par Henri IV – Jean-Baptiste Champion de Cicé appartenait à la noblesse de cette province. Il avait fait ses études à Paris où il était devenu docteur en théologie, puis vicaire général du cardinal de La Rochefoucauld. Il avait été nommé en 1758 évêque de Troyes, et transféré à Auxerre en 1760.
Comme évêque d’Auxerre pendant 20 ans, il montra une grande et subtile activité pour éradiquer les traces encore importantes de Jansénisme dans le clergé, tout spécialement au sein du chapitre cathédral d’Auxerre. Son prédécesseur Jacques de Condorcet, oncle du grand savant, n’en était pas venu à bout. Nous avons évoqué l’étonnante implantation de cette version dégradée et tardive de la doctrine de Port-Royal sous l’influence de Mgr de Caylus, dans l’article intitulé Port-Royal en Puisaye. Elle était encore prégnante chez nombre de prêtres influents en 1789. Lorsqu’il leur fallut élire leur représentant aux Etats-Généraux l’évêque ne fut élu qu’à une faible majorité. Ajouté à l’impact profond et parfois radical de la Réforme, cet épisode janséniste avait préparé d’une certaine façon les remises en cause de la Révolution. Mgr Champion de Cicé en fut un adversaire farouche mais les évènements le rattrapèrent.
Le mouvement révolutionnaire heurtait cet esprit classique, attaché aux traditions de l’Eglise, fidèle à la Couronne et au Saint-Siège. Il siégea donc aux Etats-Généraux au titre du Clergé, puis à l’Assemblée Constituante (juin 1789 – sept 1791), dans l’opposition.
L’année 1790 fut particulièrement éprouvante pour l’Eglise : la suppression des ordres religieux (février) – dont les monastères n’étaient toutefois plus très actifs dans la région, comme nous l’avons montré – (Bourras, Roches, Bellary, L’Epeau, Cessy, Saint-Laurent…etc.) – ; la Constitution civile du Clergé, approuvée par le roi après une longue hésitation (juillet), à laquelle l’évêque se refusa naturellement ; la suppression de son diocèse, actée en novembre de cette même année, alors qu’il en était éloigné. N’acceptant pas cette mesure, il fut déchu de son autorité épiscopale. Il constata avec amertume que la majorité du clergé d’Auxerre, acquise aux idées nouvelles et en délicatesse avec Rome, prêtait serment. Seuls quelques fidèles résistèrent ; ils subirent les foudres du nouveau pouvoir.
Champion de Cicé ne pouvait jouer un rôle actif dans ces assemblées dont il désapprouvait les orientations dominantes. Par une de ces incongruités dont les destins individuels confrontés à la grande histoire ont le secret, alors que la Nation travaillait fébrilement à son avenir, notre évêque se rendit en Allemagne pour « prendre les eaux ».
Il ne revint jamais en France et mourut à Halberstadt en 1805, où il est inhumé dans le cimetière des moines franciscains.
Son frère cadet Jérôme Champion de Cicé, qui professait des conceptions plus ouvertes au changement, eut une carrière prestigieuse. Il fut évêque-comte de Rodez, puis archevêque de Bordeaux et Garde des Sceaux de Louis XVI – qui l’avait choisi justement pour ses « idées avancées » -. Il émigra cependant et revint en France sous le Consulat. Il fut alors nommé archevêque d’Aix.
Leur sœur Adélaïde Champion de Cicé, formée par sa mère à la piété et à la charité, fonda en 1791 avec un jésuite les Filles du Coeur de Marie, des religieuses en habits laïcs et fondues dans le monde pour échapper aux sanctions du pouvoir. Elle fut arrêtée en 1799, car elle avait donné asile à l’un des auteurs de l’attentat de la rue Saint-Nicaise contre le Premier Consul, mais elle fut acquittée.
Avec Jean-Baptiste Champion de Cicé, 105ème et dernier évêque d’Auxerre, s’achevait une histoire de quinze siècles, celle du diocèse fondé par Pèlerin, le martyr de Bouhy, que l’abbé Lebeuf nous a racontée. Celle de notre petite région lui avait été étroitement liée.