Dans la nuit du 4 aout 1789 le régime féodal prend fin et l’histoire ancienne que nous racontons, celle des fiefs, des châteaux, des abbayes du Donziais connaît une rupture.
Elle est parfois brutale, comme pour les Chartreux de Bellary, obligés de quitter leur havre forestier en quelques heures au début de 1790, confisqué et vendu comme « Bien du Clergé » ; ou comme pour le marquis de la Maison-Fort (Bitry), devenu agent des Princes, dont la vieille forteresse, vendue comme « Bien de la Nation » après qu’il ait émigré, est dépecée par ses acheteurs.
La rupture est parfois évitée comme à Menou par la comtesse douairière de Damas-Crux, qui incarne pourtant l’ancienne noblesse. Jouissant du respect des habitants, elle est restée sur place et a préservé son grand château et ses terres, qui passeront à son fils le duc de Damas. La rupture est devancée aux Granges (Suilly-la-Tour), que son dernier seigneur vend juste avant les évènements à un notaire de Pouilly, futur administrateur du Département de la Nièvre, dont les descendants s’y succèderont.
En effet, là où les châteaux et manoirs sont passés aux XVIIème et XVIIIème siècles aux mains de bourgeois enrichis par la forge, par le commerce du bois ou par leurs charges – et qui ajoutent les noms des lieux qu’ils possèdent à leurs patronymes – la continuité prévaut. Ces fiefs étaient devenus de fait des propriétés privées, lestées certes de droits féodaux mais cédées comme des biens ordinaires. Ils les conservent et figurent, avec les acheteurs de Biens nationaux, parmi les bénéficiaires de la Révolution. N’ayant plus de seigneur suzerain, ils n’ont plus de cens à acquitter : ainsi des Beaufils « de Gérigny », à Vieux-Moulin (Vielmanay), ou encore des Berger « de Saint-Quentin » à Favray (Saint-Martin-sur-Nohain), ou des Bernot « de Charant » à Boisrond (Garchy).
Dans cet environnement rural diversifié et évolutif que nous nous sommes efforcés de décrire en détail pour chaque site que nous avons étudié, quelques figures ont eu, dans un camp ou dans l’autre, de façon parfois inattendue, un rôle pendant la Révolution. Nous allons vous les présenter en quelques articles.
A tout seigneur tout honneur : Louis Jules dit « Barbon » MANCINI-MAZARINI, dernier duc de Nivernais (1716-1798) et dernier titulaire de la baronnie de Donzy érigée en duché avec Nevers par la grâce du cardinal Mazarin son grand-oncle, est passé sans trop de dommage au travers de la tourmente.
Il fut un personnage remarquable de la fin de l’Ancien Régime, un peu oublié pourtant. Grand serviteur de l’Etat et lettré, il a aussi laissé le souvenir d’un seigneur moderne et relativement ouvert dans son duché. Il fut Membre de l’Académie française à 27 ans, comme poète et auteur dramatique sous le nom de « Mancini-Nivernois », après une brève carrière militaire – sa santé était fragile -. Il fut surtout un grand diplomate : ambassadeur à Rome (1748), à Berlin (1756) et à Londres (1762), puis Ministre d’Etat de Louis XVI en 1787. Emprisonné aux Carmes sous la Terreur, puis libéré, son intelligence de la situation l’avait fait échapper à la guillotine. N’avait-il pas répondu à ses juges : « Je n’ai montré d’autre opinion sinon que tout honnête homme doit se conformer fidèlement aux ordonnances émanées de sa Nation« …Il mourut à Paris en 1798, âgé de 82 ans. Sa sagesse et sa culture, son souci des autres et sa bonté, lui valurent à la fin de ses jours en son hôtel parisien la considération générale.
Il avait épousé Hélène Phélyppeaux de Pontchartrain (1715-1782), dame d’honneur de la reine Marie Leckzinska, fille de Jérôme Phélyppeaux, ministre et fils de ministre, dont il eut deux filles, duchesses de Belle-Isle et de Cossé-Brissac, et en secondes noces sa vieille amie Thérèse de Brancas, comtesse de Rochefort.
Il ne se serait rendu en Nivernais que deux fois selon ses biographes : pour une première entrée dans la ville de Nevers avec la duchesse le 22 septembre 1733, il avait alors 17 ans, festivités et cadeaux d’usage furent rondement menés puisqu’ils en repartirent le lendemain à 5 heures du matin. Et après la mort de son père, en 1769, laissant à ses interlocuteurs le souvenir d’un homme affable et attentif aux difficultés des uns et des autres. Il avait été accueilli à Donzy avec force éloquence par Jean-Baptiste Voille de Villarnou, avocat en Parlement, procureur fiscal, qui était un de ses anciens condisciples au Collège Louis-le-Grand.
S’agissant de l’administration du duché, dont il ne se désintéressait pas mais à laquelle il avait peu de temps à consacrer, il avait placé toute sa confiance en Antoine-Charles Parmentier (+ 1790), avocat parisien qui après avoir été « Assesseur de la maréchaussée de France de la table de marbre, résidant à Nevers », devint Procureur général près la Chambre des Comptes, en charge du suivi des affaires ducales, puis son archiviste. Dans ces dernières années de l’ancien régime, marquées de façon contradictoire par des remises en question audacieuses et par un repli de l’aristocratie sur ses privilèges, le duc de Nevers se montra plutôt ouvert à certaines évolutions. Son intérêt pour son duché est confirmé par la nomination qu’il fit en 1780 d’un « Inspecteur général des domaines et bois, offices et autres propriétés appartenant à M. le duc de Nivernais », un avocat parisien nommé Hilaire Doloret. Pendant 10 ans cet officier visita toutes les châtellenies du duché, et établit des comptes-rendus, annotés par le duc lui-même, qui sont de précieux témoignages sur les dernières années du système féodal.
A la mort du duc, en 1798, ses filles héritèrent d’une partie du patrimoine qui lui avait été restitué, car il n’avait pas émigré. Le duché avait certes disparu en tant que tel, avec ses châtellenies, les fiefs qui en relevaient et les droits qui y étaient attachés, constituant l’essentiel du revenu ducal. Mais une partie du domaine réservé du duc était préservée, qu’elles vendirent au fil du temps. Ainsi de la forêt de Charnouveaux à Champlemy, vendue à un riche industriel en 1801, avec les forges de l’Eminence et de Bailly à Donzy, et des forêts de Donzy et de Châteauneuf dont la possession remontait à la féodalité la plus ancienne.
Mancini-Nivernois, fidèle au Roi et choqué par son exécution, ne fut pas un ami de la Révolution, mais il n’en fut pas non plus un ennemi, lui qui avait sans doute compris au contact des philosophes que les temps anciens étaient révolus et que l’administration du Nivernais devait être modernisée.
A SUIVRE !