(Illustration : Bourras, le logis abbatial)
Chevigny, un hameau d’Etais-la-Sauvin dans l’Yonne, était un fief de cette châtellenie. Il appartenait depuis le XIIème siècle (1124) à l’abbaye cistercienne N.D. de Bourras à Saint-Malo-en-Donziais, fondée en 1116 par des moines venus de Pontigny, et dont nous avons souvent parlé.
À l’époque gallo-romaine, Chevigny était déjà un site connu qu’on appelait la « villa Capitinarius in pago Autissiodorensis », donnée à l’abbaye Saint Marien d’Auxerre par saint Germain au Vème siècle. Plus tard ce lieu s’appela « Cavanniacum », c’est-à-dire le « domaine du hibou », symbole de la sagesse suivant la tradition romaine, qui fait peut-être référence à celle du maître de cette villa, et devint Chevigny.
Des fouilles archéologiques effectuées en 1935 par Robert Dauvergne et René Louis – connus comme co-inventeurs du site gallo-romain des « Fontaines salées » près de Saint-Père-sous-Vézelay – ont révélé la présence de nombreux sarcophages en pierre venant d’un cimetière mérovingien près de Chevigny en allant vers Sainpuits, qu’ils avaient détecté.
La mise en exploitation d’une carrière au début de la période carolingienne au lieu-dit « Le Cercueil » où se trouvait la nécropole mérovingienne a malheureusement entraîné la destruction des vestiges. Cette carrière avait été exploitée par les Romains pour réaliser des sarcophages ornés puis elle a servi à tous les usages.
Les produits des fouilles sont visibles au musée d’Entrains-sur-Nohain et dans l’église St-Pierre-aux-Liens d’Etais-la-Sauvin. Il y a donc eu une continuité d’occupation significative du site, de l’antiquité à nos jours.
Au milieu du village, une charmante chapelle attire le regard. Il aurait été étonnant que les évêques d’Auxerre n’implantent pas un lieu de culte à Cavanniacum, tant il est vrai que l’Eglise inscrivait naturellement son action dans les sites préexistants habités par des communautés humaines structurées.
Elle date du XIIème siècle mais elle a été largement restaurée aux XVIIème, avec son portail classique, et au XIXème siècles. Elle est dédiée à Sainte Camille, d’Escolives. Le « bénéfice » ecclésiastique de Chevigny était à la « collation » de l’abbé de Bourras, seigneur spirituel et temporel du lieu. On peut imaginer que ses desservants successifs restèrent de pauvres prêtres car ils ne jouissaient que d’une « portion congrue » après que l’abbaye-mère ait prélevé son dû.
Des frères convers résidaient à Chevigny, entretenant des troupeaux et cultivant les terres, comme autour de l’abbaye-mère dans la haute vallée de la Nièvre de Champlemy. Les cisterciens de Bourras passaient pour de grands innovateurs ; le paysage agricole autour de leurs implantations a été soigneusement modelé par eux.
Dans la chapelle de Chevigny, à droite de l’autel, un blason est sculpté en bas relief dans le mur : au centre un bouquet de lys encadré à droite par l’étoile de Bethléem et à gauche par la coquille des pèlerins de Saint-Jacques. On peut lire sous le vase une date : 1116 ; sans doute l’année d’édification de la chapelle par les cisterciens.
L’autel est surmonté d’une niche dans laquelle trône une statue en pierre de sainte Camille.
Née à Civitavecchia en Italie, près de Rome, Camille a vécu dans la première moitié du Vème siècle. Elle s’était établie à Ravenne, ultime siège de l’Empire romain d’occident finissant – qui recèle des mosaïques exceptionnelles dans ses basiliques de cette époque – et était devenue avec plusieurs compagnes disciple de saint Germain d’Auxerre qui y était en mission.
À la mort de l’évêque en 448 à Ravenne, cinq d’entre elles se portèrent volontaires pour accompagner son corps jusqu’à Auxerre : Pallaye, Magnance, Procaire, Camille et Maxime. Éprouvées par le voyage, elles moururent avant d’avoir atteint leur objectif. Trois communes de l’Yonne les honorent : Sainte-Pallaye, Sainte-Magnance et Escolives-Sainte-Camille, où une église du XIème siècle à plan basilical et porche roman perpétue son souvenir. Ses reliques ont par contre été dispersées au moment des guerres de religion.
De Pontigny à Bourras, en passant par Auxerre et Etais-la-Sauvin, la chapelle de Chevigny est donc une trace discrète mais émouvante d’un riche passé lointain.