(Illustration : portrait d’une dame, vers 1500)
Le château de Donzy, abandonné à des capitaines par les comtes de Nevers dès le XIIIème siècle, eut cependant à la fin du XVème une habitante de marque : Françoise d’Albret (1460-1521), comtesse douairière, veuve du capétien Jean de Bourgogne dit « de Clamecy » (1415-1491), duc de Brabant, comte d’Auxerre, de Nevers et de Rethel, baron de Donzy, après son frère aîné Charles et son père Philippe, petit-fils de Philippe le Hardi.
Françoise était d’une branche cadette de la Maison d’Albret, puissante dynastie issue des anciens ducs de Gascogne, habile à négocier de grandes alliances. Arrière-petite-fille du Connétable Charles d’Albret, elle était la grand-tante de Jeanne d’Albret, reine de Navarre, mère du roi Henri IV. Fin du Moyen-âge, aube de la Renaissance : les Albret, maîtres de la France du sud-ouest, étaient partout, proches du pouvoir.
Arnaud-Amanjeu, baron d’Orval, le père de Françoise, richement possessionné en Berry par l’héritage des Sully, portait les armes d’Albret brisées : « de gueules à la bordure engrêlée d’argent et au bâton de sable péri en barre ». Sa mère, Isabelle de La Tour, était fille du comte d’Auvergne et de Boulogne.
Faute de portrait, on ne sait si elle était aussi jolie que riche. Elle avait passé une partie de sa jeunesse en Berry, où sa famille tenait notamment la principauté d’Henrichemont-Boisbelle, petit Etat souverain qu’elle eut en dot, avec d’autres terres et 20.000 livres. Le grand Sully racheta en 1605 ce franc-alleu familial au duc de Nevers.
Jean était veuf pour la seconde fois, sans héritier mâle. Le contrat de mariage, répertorié dans l’Inventaire des Titres de Nevers, fut signé le 3 mars 1479 au château de Châlus, une forteresse du Limousin passée aux Albret, aux pieds de laquelle Richard Cœur-de-Lion avait péri.
Le rôle de Marie d’Albret, sa propre tante et marraine, épouse de Charles, frère aîné de Jean, fut décisif. Marie avait inauguré la série des unions avec des comtes de Nevers et sa famille entendait qu’elle soit renouvelée puisqu’elle n’avait pas eu d’enfant. Tante et nièce, elles devinrent pour quelques années belles-sœurs…Mais Jean avait plus de 65 ans et aucune naissance ne vint couronner ce troisième mariage bien peu exaltant pour une jeune femme.
Pendant leurs dix années de vie commune, Jean et Françoise résidèrent souvent aux châteaux de Decize, Montenoison, Moulins-Engilbert et Donzy, plutôt qu’au vieux château médiéval de Nevers, qui fut d’ailleurs remplacé peu après par le magnifique Palais ducal que nous voyons aujourd’hui.
Le comte Jean pouvait supposer qu’il quitterait ce bas monde avant sa femme. Il lui avait donc attribué en douaire une rente de 2000 livres tournois pris sur les revenus de la baronnie que nous connaissons bien. Quand il mourut en 1491 elle avait 30 ans et résida dès lors à Donzy pour la deuxième partie de sa vie, dans la solitude du veuvage.
On l’imagine, à peine occupée par l’administration d’un douaire somme toute modeste et de ses biens en Berry, se consacrant à la musique et aux lectures, regardant par une croisée gothique la vie s’animer dans la cité en contrebas. Sans doute jouissait-elle de la compagnie de quelques dames d’honneur issues de vieilles familles de la région ou venues de Gascogne et du Berry. Etait-elle persona grata à la Cour de Nevers, et se rendait-elle à celle du roi Louis XII ?
L’intérêt bien compris des héritiers de Nevers de la Maison de Bourgogne était qu’elle vieillit seule…Connut-elle l’amour à Donzy avant d’être trop âgée, alors qu’on l’en avait privée dans sa prime jeunesse ?
De nouvelles comtesses de Nevers se succédèrent pendant cette période : sa belle-fille Elizabeth de Bourgogne, Charlotte de Bourbon, femme d’Engilbert de Clèves, puis sa propre nièce Marie d’Albret, troisième de cette famille, dont l’alliance avec Charles de Clèves – à laquelle elle contribua – mit fin aux conflits de succession. Leur fils François fut le premier duc de Nivernais et Donziais. Ces jeunes princesses lui rendaient-elles visite à Donzy ?
Françoise y mena certainement une vie pieuse. Elle se soucia de la reconstruction de la collégiale Saint-Caradeuc qui avait brûlé en 1488, où elle se rendait en descendant le degré du château. « Jean Baillet, évêque d’Auxerre, s’occupa à réparer ce désastre…Plus tard il fut secondé dans son pieux dessein par Jeanne d’Albret comtesse douairière de Nevers…Cette princesse contribua puissamment à son rétablissement. L’acte est du 12 juin 1508. Il y est dit que ses ancêtres sont les fondateurs de cette église », écrit le chanoine Lebeuf qui confond les prénoms.
Peut-être visitait-elle les abbayes des environs, que les aïeux de son époux avaient fondées : Notre-Dame-du-Pré, prieuré clunisien aux portes de la cité ; Notre-Dame de l’Epeau, où elle pouvait se rendre en marchant le long de la Talvanne ; les sires de la Rivière, inlassables serviteurs des maisons comtales successives, y étaient inhumés ; Bellary, où elle trouvait le calme de la grande forêt et le recueillement aux côtés des pères chartreux. Ces beaux monastères, qu’elle connut animés et accueillants, allaient subir le joug de la commende puis la vengeance huguenote, et ne s’en relèveraient pas.
Au terme d’une existence qui fut sans doute morose, elle mourut à Donzy le 20 mars 1521, âgée de 60 ans, et fut inhumée dans la cathédrale Saint-Cyr de Nevers aux côtés de son époux. Son épitaphe, gravée dans la pierre, est conservée au musée lapidaire de la Porte du Croux.
Des landes de Gascogne aux forteresses du Berry et aux rives du Nohain, le destin de Françoise d’Albret fut singulier. Sa trace est presque effacée.