Archives de catégorie : 91 – Châtellenie de Saint-Verain

La « belle et vertueuse huguenotte » de la Maison-Fort

Nous avons étudié l’histoire de la Maison-Fort à Bitry, une terre et un château des barons de Saint-Verain.

Au début du XVIème siècle elle était passée par alliance à la famille franc-comtoise de Beaujeu – Beaujeu-Saint-Vallier… – qui compta d’ardents chefs huguenots. René de Beaujeu, sgr de La Maisonfort, Argenou et Bitry, fut Gouverneur d’Auxerre pour le parti protestant (1567). Il avait participé à la prise de la ville à la tête d’une quarantaine de cavaliers, et abrité plus tard des troupes de l’armée de l’Amiral de Coligny dans son château. Il portait  pour armes : « de gueules à 5 trangles d’argent  « 

Ses descendants restèrent discrètement fidèles à la religion réformée. Son petit-fils Elysée de Beaujeu, sgr de La Maison-Fort – le dernier de cette famille – était décédé peu après son mariage en 1620 avec notre héroïne  : Rachel de Massué, déjà veuve d’un premier mariage. Rachel était la fille de Daniel de Massué, baron de Ruvigny, Gouverneur de la Bastille, attaché au grand Sully qui était son parrain. La famille était originaire d’Abbeville, anoblie au XVIème siècle, très engagée dans la Réforme comme leurs prénoms bibliques l’indiquent aussi.

Rachel dut séjourner quelque temps dans l’austère forteresse de son époux, gentilhomme campagnard et huguenot confiné dans ses terres, qui mourut avant même la naissance de leur fille unique. Deux fois veuve à 18 ans, elle regagna sans doute la capitale et sa famille, et fut à nouveau éprouvée par la perte de sa fille à l’âge de 4 ans. Elle s’acquit ensuite dans les salons une réputation de vertu, d’autant plus remarquable que sa beauté suscitait de grandes admirations. Corneille avait dédicacé à « Madame de La Maison-Fort » sa pièce « La Veuve ». Il y célébrait « les vertus et qualités peu communes » de cette dame, en s’excusant de demander à tant de « perfections » de protéger une héroïne si « imparfaite » (1634).

Cette même année, elle épousa en troisièmes noces au temple de Charenton, Thomas Wriothesley (1607-1667), 4th Earl of Southampton, qui vivait alors en France dans l’entourage du vieux Sully. Les chroniqueurs s’accordent pour avancer que ce fut un mariage d’amour. Il fut plus tard « Lord Grand Trésorier », réputé pour son intégrité et sa fidélité au roi Charles. Ses armes étaient : « Azure, a cross or between four hawks close argent ».

Ils regagnèrent Londres et s’installèrent à Southampton House (Bloomsbury). Un lord ami écrivait : « …my lady of Southampton is come to this town, she is very merry and very discreet, very handsome and very religious, she was called in France « la belle et vertueuse huguenotte » and to my lord of Southampton’s great joy, she is with child ». Rachel en eut en effet cinq enfants dont deux filles qui s’établirent dans la haute aristocratie anglaise. Elle faisait partie de l’entourage d’Henriette Marie de France, reine d’Angleterre. Elle mourut en couches en 1640, âgée de 37 ans.

Son portrait par Van Dyck (v. 1636) confirme sa beauté, son élégance et l’opulence de ce mariage anglais, dans une sorte d’allégorie de la fortune. Le sceptre qu’elle tient, la boule de verre sur laquelle elle s’appuie et sa sandale antique, donnent une image de l’influence qu’elle dut avoir sur un mari fort noble et riche mais « who was short and discreet ». Le décolleté audacieux est à la mode du temps et n’autorise pas à mettre en doute sa réputation.

Sa vie à Southampton House – magnifique résidence aujourd’hui disparue – dut paraître princière à cette jeune femme de 30 ans très gaie, après une première existence retirée dans un milieu constamment sur ses gardes.

Son frère, Henri de Massué, marquis de Ruvigny, lieutenant général, député des Eglises protestantes, ambassadeur en Angleterre, avait épousé la sœur de Tallemant des Réaux, l’auteur des Historiettes, d’une riche famille huguenote de La Rochelle. Il finit par s’exiler à Londres lui aussi après la révocation de l’Edit de Nantes, malgré l’amitié que lui témoignait le roi qu’il avait servi loyalement. Il y retrouva ses nièces, car Rachel était morte depuis longtemps. Il a été évoqué par Saint-Simon dans des termes élogieux :

« ….Ruvigny était un bon mais simple gentilhomme, plein d’esprit, de sagesse, d’honneur et de probité, fort huguenot, mais d’une grande conduite et d’une grande dextérité. Ces qualités, qui lui avaient acquis une grande réputation parmi ceux de sa religion, lui avaient donné beaucoup d’amis importants, et une grande considération dans le monde. Les ministres et les principaux seigneurs le comptaient et n’étaient pas indifférents à passer pour être de ses amis, et les magistrats du plus grand poids s’empressaient aussi à en être. Sous un extérieur fort simple, c’était un homme qui savait allier la droiture avec la finesse de vues et les ressources, mais dont la fidélité était si connue, qu’il avait les secrets et les dépôts des personnes les plus distinguées. Il fut un grand nombre d’années le député de sa religion à la cour, et le roi se servit souvent des relations que sa religion lui donnait en Hollande, en Suisse, en Angleterre et en Allemagne, pour y négocier secrètement, et il y servit très utilement. Le roi l’aima et le distingua toujours, et il fut le seul, avec le maréchal de Schomberg, à qui le roi offrit de demeurer à Paris et à sa cour avec leurs biens et la secrète liberté de leur religion dans leur maison, lors de la révocation de l’édit de Nantes, mais tous deux refusèrent. Ruvigny emporta ce qu’il voulut, et laissa ce qu’il voulut aussi, dont le roi lui permit la jouissance. Il se retira en Angleterre avec ses deux fils…».

Notre mémorialiste, catholique fervent mais sensible aux questionnements de la Réforme comme à la rigueur du Jansénisme, n’a cessé de déplorer les effets désastreux de la révocation de cet Edit, la perte énorme de richesse humaine qu’elle occasionna pour la société et pour l’économie du pays, et les malheurs qu’elle causa dans tant de familles.

Le nom d’Henri de Schomberg « comte de Nanteuil et de Durtal, Gouverneur de Languedoc, Grand Maître de l’Artillerie, Maréchal de France », que Saint-Simon associe à celui de Massué, ne nous est pas inconnu puisque sa veuve, Anne de La Guiche, maréchale de Schomberg, avait acheté les terres et le château de Champlemy vers 1650.

Le souvenir de la « belle et vertueuse huguenotte », qui a dû marquer son époque à Paris et à Londres malgré la brièveté de son existence, se perpétua par son prénom chez plusieurs de ses descendantes : sa fille Rachel Wriothesley  «lady Russell, duchesse de Bedford », épistolière reconnue ; sa petite-fille Rachel Russell « duchesse de Devonshire » ; Rachel Cavendish « comtesse d’Oxford » ; ou encore Rachel Noël « duchesse de Beaufort « . Cette tradition ne s’éteignit qu’au début du XIXème siècle.

On était bien loin de la campagne donziaise, où le charme et le maintien de la toute jeune « dame de la Maisonfort » avait dû éblouir le voisinage, pendant quelques mois sous le règne du jeune Louis XIII.

Le fief et le château étaient passés à la famille du Bois des Cours par le mariage de sa belle-sœur, Eléonore de Beaujeu, en 1624.

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Saint-Pierre-du-Mont

Il nous faut parfois nous aventurer un peu au-delà des limites de l’ancien Donziais pour appréhender dans sa globalité son histoire féodale.

Ainsi Saint-Pierre-du-Mont, non loin de Varzy : ce fief important et ancien n’était pas en Donziais au sens strict, mais il releva de Saint-Verain dès lors qu’un Rongefer, sgr d’Asnois, qui appartenait à cette lignée baronniale, en devint le maître au XIIIème siècle.

Une maison-forte avait été bâtie sur le haut de cette colline entourée de terres cultivées. Ce « mont » devint donc le siège d’une vaste seigneurie issue de celle de Courcelles en contrebas. Elle relevait de la suzeraineté de l’évêque d’Auxerre et comprenait des arrière-fiefs : Neuzy, Flez, et Menetou notamment. Les évêques, fortement implantés à Varzy où ils tenaient château, étaient les maîtres de ce pays enfoncé entre le Donziais et le Nivernais ; on ne trouve d’ailleurs pas trace de St-Pierre-du-Mont au moyen-âge dans l’Inventaire des Titres de Nevers.

« Renaud Rongefer, baron de Saint-Verain, avait fait fortifier, sans la permission du suzerain, la maison qu’il avait à Saint-Pierre-du-Mont, et s’en servait pour piller impunément les environs et les propriétés de l’église d’Auxerre. L’évêque Guy de Mello recourut vainement aux négociations et aux foudres de l’Eglise . Ne pouvant venir à bout du rebelle, il invoquât et obtint des secours de Blanche de Castille, assiégea, prit et rasa la citadelle en 1248… », nous indique l’Album « historique et pittoresque » du Nivernois.

Ayant repris la baronnie de Saint-Verain à la fin du XVème siècle, les comtes puis ducs de Nevers revendiquèrent et obtinrent la suzeraineté sur Saint-Pierre-du-Mont : le pouvoir temporel des évêques s’était affaibli. Les seigneurs successifs rendirent alors hommage pour le Mont à Nevers « à cause de Saint-Verain ».

Il ne reste rien du vieux château, sauf d’anciennes douves. Les guerres du moyen-âge et les combats de la Ligue, en avaient eu raison. Il a été remplacé par de vastes constructions des XVIIème et XVIIIème siècle.

Saint-Pierre-du-Mont est passé de mains en mains par des alliances et successions après deux siècles de présence des sires d’Asnois en ligne directe. Au début du XVIIème siècle il fut vendu pour 45.000 livres – ce qui atteste de l’importance de cette terre – à de nouveaux seigneurs venus de l’Angoumois, qui reconstruisirent une demeure plus confortable.

L’ancienne chapelle castrale est devenue l’église paroissiale, et de nos jours le site en impose toujours par la réunion du château, de l’église et d’un modeste village, au sommet de cette colline. On pressent que son histoire a été longue et chahutée, aux confins du diocèse d’Auxerre.

Voyez ci-dessous une notice sur la succession des seigneurs de Saint-Pierre-du-Mont :

St-Pierre-du-Mont  (V1 du 14 mai 2020)

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Les derniers seigneurs de Saint-Verain

La seigneurie de Saint-Verain, qui fut parfois appelée « baronnie » en raison de son importance, du prestige et des alliances de ses titulaires, et de son contrôle sur un très grand nombre de fiefs à l’ouest de la Puisaye et jusqu’aux portes de Donzy, termina son existence autonome à la fin du XVème.

Elle fut alors reprise par Jean, comte de Nevers – avec l’appui du roi auquel  il était fidèle malgré son appartenance à la Maison de Bourgogne – et  rattachée à la baronnie de Donzy dont elle devint une simple châtellenie.

Les partages intervenus entre les héritiers de la Maison d’Amboise-Chaumont, qui avait succédé aux sires originels de Saint-Verain par le mariage de leur unique héritière Jeanne avec Hugues d’Amboise, sgr de Chaumont, avaient donné lieu à d’interminables procès au XVème siècle. Ces luttes familiales étaient exacerbées par le contexte de la Guerre de Cent Ans : l’un des protagonistes, Jean d’Egreville, qui occupait le château, était Bailli de Sens et d’Auxerre pour le duc de Bourgogne ; alors que l’héritier le plus légitime, Pierre d’Amboise, un grand seigneur de son temps qui finalement l’emporta, était un partisan déterminé du roi de France. Il fut le père de 5 évêques, dont le fameux cardinal Georges d’Amboise.

Voyez la mise à jour que nous venons de faire de la présentation des seigneurs successifs de Saint-Verain : Saint-Verain (accessible également par le menu principal : cadre féodal, grands fiefs voisins)

Elle donne des indications plus précises sur cette période troublée, grâce à deux sources précieuses :

  • l’ouvrage de Léon et Albert Mirot : « La seigneurie de Saint-Verain-des-Bois, des origines à sa réunion au comté de Nevers (1480) » (Delayance, La Charité, 1943) ;
  • « l’Inventaire des Titres de Nevers » de l’abbé de Marolles, édité par Soultrait (Paulin Fay, Nevers, 1873)

Ce travail devra être enrichi, car l’histoire des sires de Saint-Verain, liée à celle de l’Abbaye cistercienne de Roches à Myennes qu’ils avaient fondée et qui fut leur nécropole, recèle encore bien des mystères. Ils ont tenu une place importante dans l’histoire de la région et pris une part active à l’épopée des croisades, dont de nombreuses traces subsistent dans les noms de lieux aux alentours.

Nous aimerions comprendre mieux leur origine : étaient-ils liés aux barons de Donzy, comme l’enchevêtrement de leurs terres respectives le suggère, qui aurait pu résulter d’une partage familial ? Le premier Gibaud (Wibald) était-il parent de l’évêque Hugues de Chalon, qui avait structuré féodalement le diocèse d’Auxerre et ces terres contrôlées par sa famille, comme ses voisins et pairs de Donzy et de Toucy ?

Nous souhaiterions en savoir plus sur l’histoire du château de Jérusalem, près de Saint-Verain, très peu documentée, ou sur celles de plusieurs terres des environs qui étaient sous leur contrôle, inféodées à des seigneurs locaux : Annay, Arquian, Alligny, Bouhy…par exemple ; ou encore celle de Presles, à Cours, qui reste à écrire.

L’émotion étreint à chaque fois le visiteur de Saint-Verain qui compare les pauvres restes de cette puissante forteresse engloutis sous la végétation, aux images et reconstitutions proposées de sa configuration ancienne : puissants seigneurs et sombres luttes ont animé ce lieu tout au long du Moyen-Age, il y a bien longtemps…

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Les Granges de Cours

(Illustration : église St-Symphorien de Cours, ancien prieuré)

Nous avions évoqué le fief des Granges, près de Cours (Cosne-Cours-sur-Loire), comme une possession annexe des seigneurs de Myennes à partir du XVIIème siècle. En fait il en était une « Grange » et en avait été détaché bien antérieurement.

Des contributions décisives d’A. Boucher-Baudard, qui étudie de façon approfondie l’histoire de la région de Cosne, nous ont permis d’y voir plus clair, c’est pourquoi cet article a été substitué aux précédents.

« Les Granges ou « château des Granges » était une grosse maison autrefois fortifiée, tout autour régnaient de hautes murailles, et un fossé rempli d’eau qu’on traversait sur un pont-levis. Au-dessus de la porte d’entrée, on voit encore des armoiries ; un bel et large escalier conduit au Ier. Dans les murs qui l’entourent on remarque de distance en distance des trous sur le dehors pour place des canons. »

Le nom de « Granges » indique une dépendance par rapport à un château, celui de Myennes en l’occurrence, une terre de l’ancienne baronnie de Saint-Verain , dont cet arrière-fief fut détaché vers 1570.

On trouve ce fief aux mains des « du Houssay », connus comme seigneurs du Pezeau (à Boulleret,18, non loin de Cosne) depuis Pierre, à la fin du XVIème siècle. Ils détiennent également Beauregard, petit fief voisin des Granges. La succession proposée, pour cette famille peu documentée, reste en partie hypothétique.

L’un d’eux : Jean du Houssay » (v. 1550-1600), connu sous le nom de « seigneur de la Borde », a été un conseiller et agent du roi Henri IV ; il a laissé des Mémoires.

Le fief des Granges passe ensuite en 1631, par acquisition, aux Vieilbourg, faisant ainsi retour aux seigneurs de Myennes, et reste ensuite associé à ce grand fief jusqu’à la Révolution.

Voyez ci-dessous une notice complétée sur la succession des seigneurs des Granges :

Les Granges (Cours) (V5 du 13 mars 2024)

 

 

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Annay, sur la Vrille

(Illustration : Annay : le pont sur la Vrille)

Annay, sur la Vrille, entre Arquian et Neuvy, relevait de Saint-Verain.

C’était sans doute un fief ancien, puisqu’on y fait état d’une demeure seigneuriale, mais il n’apparaît dans les actes qu’au début du XVIIème siècle. Peut-être cette terre a-t-elle été démembrée de Neuvy ou d’Arquian, ou encore du domaine de l’abbaye de Roches à Myennes ?

Elle ne figure pas en tout cas dans la liste des fiefs de Saint-Verain concernés par le partage de la succession des barons à la fin du XVème siècle, à la différence de Neuvy et Arquian, tel que les Mirot (« La Baronnie de Saint-Verain« ) l’ont proposée.

Le château actuel d’Annay a été construit au XIXe siècle sur les fondations de l’ancien. Un grand corps de logis rectangulaire est adossé à une tour carrée, seul vestige de l’ancienne construction. Par contre, l’avant-corps a été détruit après la seconde guerre mondiale, au cours de laquelle il a été gravement endommagé.

Il était parfois appelé le « château de la Borde «  par certaines sources, d’où des confusions avec La Borde à Leugny (89).

Cela pourrait suggérer qu’il s’agissait d’une « borde » – métairie relevant d’un plus grand domaine laïc ou religieux – détachée de son fief d’appartenance et érigée en seigneurie.

Merci de nous aider à éclairer les origines de ce fief, pour compléter la notice ci-jointe : 

Annay (V2 du 29 déc 2021)

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