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La « belle et vertueuse huguenotte » de la Maison-Fort

Nous avons étudié l’histoire de la Maison-Fort à Bitry, une terre et un château des barons de Saint-Verain.

Au début du XVIème siècle elle était passée par alliance à la famille franc-comtoise de Beaujeu – Beaujeu-Saint-Vallier… – qui compta d’ardents chefs huguenots. René de Beaujeu, sgr de La Maisonfort, Argenou et Bitry, fut Gouverneur d’Auxerre pour le parti protestant (1567). Il avait participé à la prise de la ville à la tête d’une quarantaine de cavaliers, et abrité plus tard des troupes de l’armée de l’Amiral de Coligny dans son château. Il portait  pour armes : « de gueules à 5 trangles d’argent  « 

Ses descendants restèrent discrètement fidèles à la religion réformée. Son petit-fils Elysée de Beaujeu, sgr de La Maison-Fort – le dernier de cette famille – était décédé peu après son mariage en 1620 avec notre héroïne  : Rachel de Massué, déjà veuve d’un premier mariage. Rachel était la fille de Daniel de Massué, baron de Ruvigny, Gouverneur de la Bastille, attaché au grand Sully qui était son parrain. La famille était originaire d’Abbeville, anoblie au XVIème siècle, très engagée dans la Réforme comme leurs prénoms bibliques l’indiquent aussi.

Rachel dut séjourner quelque temps dans l’austère forteresse de son époux, gentilhomme campagnard et huguenot confiné dans ses terres, qui mourut avant même la naissance de leur fille unique. Deux fois veuve à 18 ans, elle regagna sans doute la capitale et sa famille, et fut à nouveau éprouvée par la perte de sa fille à l’âge de 4 ans. Elle s’acquit ensuite dans les salons une réputation de vertu, d’autant plus remarquable que sa beauté suscitait de grandes admirations. Corneille avait dédicacé à « Madame de La Maison-Fort » sa pièce « La Veuve ». Il y célébrait « les vertus et qualités peu communes » de cette dame, en s’excusant de demander à tant de « perfections » de protéger une héroïne si « imparfaite » (1634).

Cette même année, elle épousa en troisièmes noces au temple de Charenton, Thomas Wriothesley (1607-1667), 4th Earl of Southampton, qui vivait alors en France dans l’entourage du vieux Sully. Les chroniqueurs s’accordent pour avancer que ce fut un mariage d’amour. Il fut plus tard « Lord Grand Trésorier », réputé pour son intégrité et sa fidélité au roi Charles. Ses armes étaient : « Azure, a cross or between four hawks close argent ».

Ils regagnèrent Londres et s’installèrent à Southampton House (Bloomsbury). Un lord ami écrivait : « …my lady of Southampton is come to this town, she is very merry and very discreet, very handsome and very religious, she was called in France « la belle et vertueuse huguenotte » and to my lord of Southampton’s great joy, she is with child ». Rachel en eut en effet cinq enfants dont deux filles qui s’établirent dans la haute aristocratie anglaise. Elle faisait partie de l’entourage d’Henriette Marie de France, reine d’Angleterre. Elle mourut en couches en 1640, âgée de 37 ans.

Son portrait par Van Dyck (v. 1636) confirme sa beauté, son élégance et l’opulence de ce mariage anglais, dans une sorte d’allégorie de la fortune. Le sceptre qu’elle tient, la boule de verre sur laquelle elle s’appuie et sa sandale antique, donnent une image de l’influence qu’elle dut avoir sur un mari fort noble et riche mais « who was short and discreet ». Le décolleté audacieux est à la mode du temps et n’autorise pas à mettre en doute sa réputation.

Sa vie à Southampton House – magnifique résidence aujourd’hui disparue – dut paraître princière à cette jeune femme de 30 ans très gaie, après une première existence retirée dans un milieu constamment sur ses gardes.

Son frère, Henri de Massué, marquis de Ruvigny, lieutenant général, député des Eglises protestantes, ambassadeur en Angleterre, avait épousé la sœur de Tallemant des Réaux, l’auteur des Historiettes, d’une riche famille huguenote de La Rochelle. Il finit par s’exiler à Londres lui aussi après la révocation de l’Edit de Nantes, malgré l’amitié que lui témoignait le roi qu’il avait servi loyalement. Il y retrouva ses nièces, car Rachel était morte depuis longtemps. Il a été évoqué par Saint-Simon dans des termes élogieux :

« ….Ruvigny était un bon mais simple gentilhomme, plein d’esprit, de sagesse, d’honneur et de probité, fort huguenot, mais d’une grande conduite et d’une grande dextérité. Ces qualités, qui lui avaient acquis une grande réputation parmi ceux de sa religion, lui avaient donné beaucoup d’amis importants, et une grande considération dans le monde. Les ministres et les principaux seigneurs le comptaient et n’étaient pas indifférents à passer pour être de ses amis, et les magistrats du plus grand poids s’empressaient aussi à en être. Sous un extérieur fort simple, c’était un homme qui savait allier la droiture avec la finesse de vues et les ressources, mais dont la fidélité était si connue, qu’il avait les secrets et les dépôts des personnes les plus distinguées. Il fut un grand nombre d’années le député de sa religion à la cour, et le roi se servit souvent des relations que sa religion lui donnait en Hollande, en Suisse, en Angleterre et en Allemagne, pour y négocier secrètement, et il y servit très utilement. Le roi l’aima et le distingua toujours, et il fut le seul, avec le maréchal de Schomberg, à qui le roi offrit de demeurer à Paris et à sa cour avec leurs biens et la secrète liberté de leur religion dans leur maison, lors de la révocation de l’édit de Nantes, mais tous deux refusèrent. Ruvigny emporta ce qu’il voulut, et laissa ce qu’il voulut aussi, dont le roi lui permit la jouissance. Il se retira en Angleterre avec ses deux fils…».

Notre mémorialiste, catholique fervent mais sensible aux questionnements de la Réforme comme à la rigueur du Jansénisme, n’a cessé de déplorer les effets désastreux de la révocation de cet Edit, la perte énorme de richesse humaine qu’elle occasionna pour la société et pour l’économie du pays, et les malheurs qu’elle causa dans tant de familles.

Le nom d’Henri de Schomberg « comte de Nanteuil et de Durtal, Gouverneur de Languedoc, Grand Maître de l’Artillerie, Maréchal de France », que Saint-Simon associe à celui de Massué, ne nous est pas inconnu puisque sa veuve, Anne de La Guiche, maréchale de Schomberg, avait acheté les terres et le château de Champlemy vers 1650.

Le souvenir de la « belle et vertueuse huguenotte », qui a dû marquer son époque à Paris et à Londres malgré la brièveté de son existence, se perpétua par son prénom chez plusieurs de ses descendantes : sa fille Rachel Wriothesley  «lady Russell, duchesse de Bedford », épistolière reconnue ; sa petite-fille Rachel Russell « duchesse de Devonshire » ; Rachel Cavendish « comtesse d’Oxford » ; ou encore Rachel Noël « duchesse de Beaufort « . Cette tradition ne s’éteignit qu’au début du XIXème siècle.

On était bien loin de la campagne donziaise, où le charme et le maintien de la toute jeune « dame de la Maisonfort » avait dû éblouir le voisinage, pendant quelques mois sous le règne du jeune Louis XIII.

Le fief et le château étaient passés à la famille du Bois des Cours par le mariage de sa belle-sœur, Eléonore de Beaujeu, en 1624.

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La belle dame de la Motte-Josserand (1650-1685)

(Portrait : Hortense Mancini, duchesse de Mazarin et de La Meilleraye)

Depuis 1447, date de son acquisition par le Chancelier Jean Jouvenel des Ursins, la Motte-Josserand, forteresse mythique du Donziais au bord du Nohain à Perroy, dont nous avons souvent parlé, passait par héritage de famille en famille.

Mais vers 1650 elle fut vendue par son dernier héritier, le maréchal de Vitry, au duc de Villars. Ce fut la première d’une série de cessions qui fit de ce haut lieu de la Guerre de Cent Ans un simple objet de spéculation. Les seigneurs n’y résidaient généralement pas : le château était solide – n’est-il pas toujours debout ? – mais inconfortable pour ces habitués des beaux hôtel parisiens.

Le duc de Villars fit don de La Motte-Josserand à Joachim de Lenoncourt, marquis de Marolles, lieutenant général, frère de sa première épouse. Cette grande famille lorraine avait donné un siècle plus tôt deux prieurs de La Charité : Robert de Lenoncourt (1510-1561), archevêque de Toulouse et cardinal, mort au prieuré où il s’était retiré, et son neveu Philippe de Lenoncourt (1527-1592), évêque d’Auxerre, lui aussi cardinal et surtout proche conseiller du roi Henri III.

Lenoncourt, en Lorraine : « D’argent à la croix engrêlée de gueules »

La fille de Joachim, Marie Sidonie de Lenoncourt, (1650-1685), encore enfant, resta seule héritière de ses grands biens, dont la Motte-Josserand. Devenue marquise de Courcelles  par son mariage avec Charles de Champlais, lieutenant général de l’Artillerie, neveu du maréchal-duc de Villeroy, elle eut une vie mouvementée. Son incorrigible galanterie et l’éternelle convoitise des hommes, la perdirent. Ses Mémoires donnent un récit édifiant des passions et des malheurs de cette ravissante jeune femme, dans les premières années du règne de Louis XIV.

Sidonie de Lenoncourt, marquise de Courcelles, dame de La Motte-Josserand

Soustraite très tôt à l’influence jugée néfaste de sa mère, une princesse allemande qui menait une vie déréglée, elle fut élevée par une tante austère, abbesse de St-Loup d’Orléans. Mais elle fut retirée à l’autorité de l’abbesse par Colbert qui convoitait son nom et sa fortune pour son frère Maulévrier. Elle fut donc confiée par lui à la garde de Marie de Bourbon-Condé, princesse de Carignan et subit auprès d’elle à l’hôtel de Soissons, haut-lieu de l’intrigue, l’influence déplorable de sa belle-fille, Olympe Mancini, nièce du cardinal Mazarin, dont la vie ne fut que scandales.

Prise dans un maelström de débauche et de pouvoir, elle fut mariée à 16 ans au marquis de Courcelles par les sœurs de ce dernier dont l’objectif était de la pousser dans le lit de Louvois, qui se consumait d’admiration pour elle. Malgré l’aversion qu’il lui inspirait, elle fut contrainte de devenir la maîtresse du puissant ministre à 18 ans.

Elle entama peu après avec François de Neufville, duc de Villeroy, maréchal de France, un cousin de son mari, une carrière amoureuse pleine de rebondissements. Villeroy, qui avait d’autres attachements, l’abandonna à la colère de son mari trompé, qui l’exila à Courcelles chez sa belle-mère. Elle y rencontra un certain sieur de la Ferrière dont elle eut une fille qui ne vécut pas.

Le marquis de Courcelles, excédé, la fit alors enfermer au couvent des Filles de la Visitation Sainte-Marie, rue Saint-Antoine – dont seule l’église subsiste, devenue un temple protestant – . Elle y retrouva Hortense Mancini, duchesse de Mazarin, sœur d’Olympe, aussi jolie et délurée qu’elle et que leur sœur Marie, le premier amour du jeune Louis XIV. Toutes trois étaient soeurs de Philippe Mancini, duc de Nivernais, suzerain de la Motte-Josserand à cause de Donzy. Le mari d’Hortense, duc de la Meilleraye, Grand-Maître de l’Artillerie, avait placé sa femme dans ce couvent pour les mêmes raisons. Sidonie s’en échappa après quelques mois, mais les jalousies additionnées de son mari et de Louvois lui valurent d’être enfermée à la Conciergerie, et condamnée en 1672 au cloître et à la confiscation de ses biens.

Mme de Sévigné s’en amusait : « L’affaire de Mme de Courcelles réjouit fort le parterre ; les charges de la Tournelle sont enchéries depuis qu’elle doit être sur la sellette. Elle est plus belle que jamais, elle boit, et mange, et rit, et ne se plaint que de n’avoir point encore trouvé d’amants à la Conciergerie. »

Grâce à quelque complicité, elle parvint à nouveau à échapper à ses gardiens et gagna la Franche-Comté puis Genève, Annecy, et Avignon, non sans de nouvelles aventures. Elle rejoignit alors Hortense à Londres, où elle était devenue la maîtresse du roi Charles II. Revenue à Paris et enfin veuve, Sidonie fut à nouveau arrêtée en 1678, car son beau-frère avait repris les charges contre elle. Elle ne fut libérée qu’en 1680 et épousa cette fois un obscur capitaine de dragons, Jacques Gaultier. Elle mourut 5 ans plus tard, sans descendance .

Il est probable que ses passions, ses enfermements et ses exils ne lui laissèrent pas l’occasion de venir à la Motte-Josserand, dont ses hommes de loi s’occupaient et qui fut vendue sur saisie après sa mort. Un acte de 1694 conservé aux archives de l’Yonne évoque : « les droits des sieurs François Le Boultz de Chaumot et Gaspard Brayer, conseiller au Parlement, adjudicataire au prix de 30.000 L. de la terre et seigneurie de La Motte-Josserand, saisie réellement sur les successions de Marie-Sidonie de Lenoncourt, épouse de Jacques Gaultier, sgr du Tilleul…etc. »

En ce siècle de tous les débordements, la beauté et la richesse, privées des remparts de la vertu, avaient valu bien des déboires à cette belle « dame de la Motte-Josserand ».

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Pilles à Couloutre, et Roger de Piles…

(Illustration : le lavoir de Varzy, sur la Sainte-Eugénie)

Sur la rive droite du Nohain à Couloutre, le hameau de Pilles est un ancien fief. On le trouve cité chez les sires de La Rivière – dont il devait être un arrière-fief – au XVIème siècle : n’aperçoit-on pas les tours de leur château sur la hauteur ?

Ainsi Charlotte de La Rivière (°v.1535), « dame de Pilles », fille de Jean, sgr de Champlemy et de Seignelay, et d’Isabeau de Dinteville ; ou plus tard Hubert de La Rivière (+1615), sgr de Champlemy, vcte de Tonnerre et sgr de Pilles, qui réunit par son mariage deux branches de la famille, puis son fils Claude, baron de La Rivière (+1661). On peut supposer que Pilles resta ensuite associé au fief principal et passa aux Choiseul-Chevigny en 1665 par le mariage de Paule de La Rivière, ultime représentante de cette grande famille (voir : La Rivière, source d’une grande famille).

Pourtant ce hameau où ne subsiste pas de trace castrale, hormis un domaine qui paraît ancien au centre du village, est supposé avoir donné son nom à la famille de Roger de Piles (1636-1709), diplomate du roi Louis XIV, peintre et théoricien de l’art, dont les ancêtres habitaient notre région et y avaient exercé différentes charges.

Des généalogies complètes ont été données par Léon Mirot (Généalogie de la famille de Piles), ainsi que par Dugenne dans son dictionnaire biographique de l’Yonne. Elles ne la relient pas au fief éponyme, qu’on suppose simplement être leur origine eu égard à leur présence dans le voisinage dès le XVème siècle. Les sources font actuellement défaut pour approfondir la question.

La famille détenait des terres dans la région de Varzy : Champsimon, Bazarnes, et Chivres, à Courcelles, peut-être par une alliance. Le nom de Champsimon a disparu, fondu sans doute dans Chivres ou transformé en Chaumont (le nom d’un moulin). Ces fiefs relevaient de la châtellenie de Montenoison selon l’Inventaire des Titres de Nevers, c’est-à-dire de cette partie méridionale de l’ancien diocèse d’Auxerre qui n’appartenait pas à la baronnie de Donzy. Certains auteurs les rattachent au contraire à celle de Billy-sur-Oisy, fusionnée avec Corvol-l’Orgueilleux. On trouve aussi les Piles possessionnés en Avallonais et à Saulieu, sans doute par des alliances.

Nous les avons rencontrés en étudiant la dévolution de Bazarnes, avec son beau château reconstruit au XVIIIème siècle au bord de la rivière Sainte-Eugénie qui court  vers le Sauzay et  Clamecy.

La filiation est établie depuis Pierre de Piles (+1453), qui demeurait à Entrains. La famille appartenait à la bourgeoisie urbaine et ses membres étaient échevins de Clamecy ou de Saulieu.

Plusieurs d’entre eux ont exercé des charges ecclésiastiques locales ou parisiennes. Ainsi Pierre de Piles, qui étudia à Paris, devint Chanoine de Saulieu et d’Auxerre, chantre de la collégiale Saint-Martin de Clamecy – où il accueillit le roi François Ier en 1530 -. Il fut également Trésorier du chapitre de Varzy, et curé de Treigny (1520-1534) dont il embellit considérablement l’église – surnommée la « cathédrale de la Puisaye » – en faisant reconstruire le choeur. On peut y voir ses armes, comme sur sa pierre tumulaire avec son effigie gravée en la cathédrale d’Auxerre : « d’azur à la fasce d’argent, accompagnée de deux roses d’or… ».

Son petit-neveu Jean de Piles (+1607), fut chanoine de Paris, vicaire général de Reims sous l’archevêque Louis de Lorraine. Profitant de l’influence des Lorrains il fut gratifé de plusieurs bénéfices : doyen de Carrenac en Quercy, prieur de Lurcy et de Plessis-les-Moines, abbé d’Orbais en Normandie (1580). Il fut Secrétaire de la chambre du roi Henri III, Aumônier de la Reine Louise, et Député du clergé aux Etats-Généraux de 1593. Partisan des Guise et adversaire acharné des huguenots, il joua un rôle diplomatique important au service de la Ligue, qui l’envoya comme émissaire à Rome à plusieurs reprises avant 1600, où il plaida contre l’absolution du Roi après sa conversion.

Dans le contexte de la réconciliation, marqué par ses combats perdus il opta pour l’oubli, ce qui permit sans doute l’anoblissement de son frère Jacques (1542-1607), sgr de Champsimon, échevin d’Avallon et Président de l’Election de Clamecy, qui avait contribué à la pacification du Nivernais aux côtés des Gonzague. Sa plaque tumulaire dans la cathédrale Notre-Dame de Paris a été reproduite dans la collection Gaignères.

Un peu plus tôt, un certain Pierre de Piles de Villemur, lui aussi chanoine de Paris, ancien précepteur du duc de Guise, avait été également très engagé contre les huguenots. Il demeurait au cloître Saint-Germain-l’Auxerrois, avait accueilli chez lui les assassins de l’amiral de Coligny avant leur forfait (1572), et les avait aidés arme à la main. Mais ce nom de Villemur interroge : appartenait-il à cette lignée nivernaise ou à celle des Villemur de Paillès, d’où la confusion ?

Revenons enfin à Roger de Piles, dernier de cette famille et le plus connu.

                                                                 

Né en 1636 à Clamecy, où son père, Adrien, sgr de Courteilles, un autre petit fief de la paroisse de Courcelles (fils de Jacques ci-dessus) était Contrôleur du Grenier à Sel, il eut pour parrain le duc de Bellegarde, Grand Ecuyer de France, en exil à Entrains. Il étudia la philosophie, la théologie et surtout la peinture. Il fut précepteur de Michel Amelot, marquis de Gournay, qui l’emmena ensuite dans ses ambassades où il fit merveille. Envoyé en mission secrète au Pays-Bas par Louvois, il y fut arrêté et ne retrouva la liberté qu’en 1698, après la Paix de Ryswick. Il avait approfondi ses connaissances artistiques au cours de ses voyages et fut dès lors connu comme peintre, notamment portraitiste. Mais il fut surtout un théoricien de l’art et participa aux débats de son temps, défendant les « coloristes » et inventant l’expression « clair-obscur ». Membre de l’Académie royale de peinture et de sculpture, admirateur de Rubens, il publia plusieurs ouvrages sur la vie des peintres et un cours de peinture. Il mourut en 1709 et fut inhumé à Saint-Sulpice.

Reste à éclaircir le mystère de leur nom, que les historiens du Nivernais attribue au hameau de Couloutre. Merci de vos contributions à ce sujet !

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Le dernier baron de Perreuse

Perreuse, dont nous avons déjà parlé, était une terre des barons de Toucy, au sud de leur espace féodal relevant des évêques d’Auxerre. Dans le partage intervenu entre les filles du maréchal Jean de Chabannes (1503) elle fut associée à Saint-Fargeau, dont les seigneurs furent parfois désignés comme « barons de Perreuse » ; un titre dont on ne connaît pas l’origine mais qui attestait du contrôle exercé sur plusieurs paroisses et arrière-fiefs de la Puisaye méridionale.

Le rattachement des châtellenies de Druyes et Saint-Sauveur à la baronnie de Donzy au XIIIème siècle avait fait des barons de Perreuse des vassaux des comtes de Nevers « à cause de Donzy ». L’histoire féodale de cette terre constellée de manoirs au milieu de vastes forêts devait s’achever sur un épisode sanglant de la Révolution : l’assassinat du dernier d’entre eux.

Louis Michel Lepeletier de Saint-Fargeau, né en 1760, était un pur produit de la « grande robe » : fils de Michel Etienne, président à mortier au Parlement de Paris dont il hérita très jeune de la charge, petit-fils de Louis Michel, maître des requêtes, et arrière-petit-fils de Michel Robert Lepeletier des Forts, ministre d’Etat, Surintendant des Finances, acquéreur de Saint-Fargeau en 1715. Il avait épousé la fille d’un autre mortier, ce qui avait sans doute arrondi encore sa pelote. A la tête de vastes propriétés – Saint-Fargeau couvrait à elle seule plusieurs milliers d’hectares -, député de la noblesse en 1789, il n’était pas prédestiné à une carrière révolutionnaire. Mais alors que son contemporain le grand Malesherbes (Lamoignon), ouvert comme lui aux idées nouvelles, optait pour la fidélité au Roi – ce qui lui valut la guillotine -, Lepeletier, héritier d’une famille qui contestait de longue date l’absolutisme royal, vota sa mort. Cela le condamna également d’une autre manière.

Il avait été un jeune magistrat béni des dieux : avocat général au Parlement de Paris – une fonction dans laquelle il excella – puis président à mortier à 25 ans. Sa morgue était parfois critiquée mais son talent reconnu. Acquis aux Lumières, il fut un acteur important du processus révolutionnaire à ses débuts. Reniant vite ses origines il fit adopter l’abandon des titres de noblesse le 17 juin 1790, et ne fut plus dès lors que Michel Lepeletier…. tout en préservant pour sa descendance de grands biens fonciers.

Président de l’Assemblée Constituante à 30 ans, il tenta sans succès de faire abolir la peine de mort par le nouveau Code Pénal de 1791, qui ne condamnait plus, suivant ses propres termes les « crimes imaginaires » et autres « délits factices, créés par la superstition, la féodalité, la fiscalité et le despotisme »…

Elu la même année Président de l’Administration départementale de l’Yonne, il devint en 1792 son député à la Convention, au sein de laquelle il siégea avec la « Montagne ». Il y promut la liberté de la presse et fut l’auteur d’un projet d’Education « nationale et égalitaire », qui entendait placer tous les enfants entièrement sous la responsabilité de l’Etat. Mais c’est le projet de Condorcet, plus élitiste et moins totalitaire, qui fut retenu.

Malgré son opposition de principe à la peine capitale et non sans quelques hésitations – suggérées peut-être par sa position sociale – il vota donc la mort du Roi le 20 janvier 1793. Le soir même, un ancien officier aux Gardes du Corps le transperçait d’un coup de sabre dans un restaurant du Palais Royal ; il expira chez lui quelques heures avant le citoyen Capet. Il fut inhumé dans un premier temps au Panthéon puis ses restes furent transférés à Saint-Fargeau. Il devint le premier « martyr de la Révolution », inspirant le fameux tableau de David qui le représente mourant et fit de lui une figure mythique.

Les portraits qu’on a de lui par ailleurs donnent à voir plutôt un gentilhomme – né aquilin, tenue soignée – qu’un tribun populaire.

                                                   

Né marquis de Saint-Fargeau, baron de Perreuse, seigneur de nombreux fiefs dans plusieurs régions de France, et nanti des revenus correspondants, sa première vie ne fut pas celle d’un aristocrate campagnard, mais celle d’un jeune haut magistrat cultivé – il écrivait dès son plus jeune âge – et très actif au cœur du pouvoir judiciaire, au sein duquel il avait une réputation de grande compétence et de travail acharné . Cela le préparait à un rôle politique éminent et imminent.

Mena-t-il un tant soit peu une vie rustique pendant ses vacances d’enfant ? Arpenta-t-il les grandes salles de Saint-Fargeau ? Chevaucha-t-il dans ses grands bois ? Lepeletier n’a malheureusement pas eu le temps d’écrire ses mémoires. On sait simplement par son demi-frère Félix qu’il était un seigneur bienveillant. Ce dernier a en effet publié en 1826 des « Œuvres de Michel Lepeletier Saint-Fargeau : député aux assemblées constituante et conventionnelle, assassiné le 20 janvier 1793, par Paris, garde du roi ; précédées de sa vie, par Félix Lepeletier, son frère ; suivies de documents historiques relatifs à sa personne, à sa mort et à l’époque » (Bruxelles, Arnold-Lacrosse, 1826). Elles ne donnent guère d’indications sur sa présence en Puisaye mais au détour d’un paragraphe on peut lire : « ..vous aussi habitants de Sougères, joli hameau du département de l’Yonne, vous n’avez pas oublié non plus, lorsqu’un feu destructeur réduisit presque toute votre commune en cendres, vous n’avez pas oublié dis-je, qui vous tendit une main secourable… »

Saint-Fargeau passa à sa fille Suzanne, puis à ses descendants ; la page révolutionnaire était depuis longtemps tournée et la vie y avait repris son cours aristocratique. Ce site exceptionnellement bien conservé donna deux cents ans plus tard à son arrière-petit-fils Jean d’Ormesson la matière d’un beau roman.

Lepeletier avait-il connu le château et les murs de Perreuse, presqu’intégralement disparus. Devenu un modeste village fusionné avec la commune de Treigny (89), le site conserve de belles traces de cette période faste.

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Romain, de Subiaco à Fons Drogi

(Illustration : le monastère de Subiaco)

Après saint Pèlerin, premier évêque d’Auxerre, martyrisé à Bouhy en 303, et le grand saint Germain (380-448), voici saint Romain (462-543), fondateur du monastère de Druyes et  – excusez du peu ! – mentor de Saint Benoit lui-même…

L’abbé C. Leclerc, curé de Druyes-les-Belles-Fontaines au XIXème siècle, a raconté la vie de ce personnage hors du commun, avec dévotion et à la manière de son temps : « Saint Romain, éducateur de saint Benoît, abbé et fondateur de Druyes-les-Belles-Fontaines » (Mignard, Paris, 1893).

Longtemps avant lui, le moine Gislebert, de St-Rémi-de-Sens, avait écrit une « Vita Sancti Romani, conditoris Fonti Rogae » vers 1050, inspirée de traditions monastiques orales. Ce texte, qui recèle inévitablement des éléments légendaires, est la seule source disponible, reprise par les auteurs classiques : Mabillon et les Bollandistes.

L’itinéraire de ce Romain, assez méconnu, fut une aventure extraordinaire.

Il était né vers 462, sans doute à Rome, d’une famille chrétienne aisée, alors que l’Empire était à l’agonie, Goths et Vandales lui portant les derniers coups. En Gaule, la société gallo-romaine cultivée, comme Sidoine Apollinaire, voyait avec effroi les barbares francs chevelus s’imposer à elle par la force.

Romain entra très jeune au petit couvent de Subiaco, délaissant ses études et le monde. Ses frères furent vite édifiés par sa piété ardente et, malgré son jeune âge, sa réputation de sainteté se répandit dans le pays. Elle attira le jeune Benoît, dont il fut dès lors le mentor. Il le forma et l’accompagna dans son choix érémitique. Il le nourrit même pendant trois ans dans sa grotte, avec ce fameux panier suspendu que l’imagerie légendaire a retenu. Il resta son fidèle compagnon, s’effaçant devant la notoriété croissante de celui qui refonda le monachisme occidental. On ne sait rien de son rôle réel à ses côtés.

                                                                    

Les circonstances dans lesquelles il quitta Subiaco vers 500 restent obscures. S’agissait-il de fuir des persécutions, de laisser le champ libre à son illustre élève ou tout simplement d’un « appel » ? Gislebert opte pour ce parti et le fait prendre congé de ses frères dans ces termes : « Mais, comme l’homme n’est pas le maître de sa voie, comme sa direction appartient à celui qui dispose de toutes choses avec la plus grande sérénité, je vous en prie, n’essayez pas de me retenir. Dieu m’ordonne d’aller dans les Gaules, je dois obéir. Il faut marcher…. ».

Il marcha donc et gagna les Alpes, passant sans doute au Petit-Saint-Bernard comme l’avait fait Germain en route vers Ravenne, et comme le fera quelques décennies plus tard Maur. Il se serait arrêté au grand sanctuaire burgonde d’Agaune près de Martigny, récemment fondé et dirigé alors par Séverin – celui-là même que Clovis, malade, appela à Lutèce – ; ainsi qu’au monastère de Condat (Saint-Claude), fondé en 420 par un autre Romain, originaire du Jura, le saint le plus célèbre de ce nom.

Pourquoi se dirigea-t-il vers l’Auxerrois ? Il suivait naturellement les voies romaines, mais la réputation de Germain ne fut sans doute pas étrangère à ce choix, ainsi que celle de Pèlerin.

Quoiqu’il en soit, sa pérégrination prit fin dans la grotte de Druyes, qui lui rappela peut-être les rochers de Subiaco.

                                                           

Connue par ses sources sous le nom de Fons-Drogi, cette localité n’était pas anodine. Elle avait une réputation de site druidique. L’historien Née de la Rochelle – dont la famille en était originaire – écrit que « la ville de Druyes est très ancienne et qu’il y avait un temple dédié au dieu Mercure ou Teutatès, ainsi qu’une habitation spéciale pour les druides, l’un et l’autre étant bâtis sur la montagne… ». Le grand saint Martin de Tours y était passé dans son voyage en pays Eduen, aux dernières années du IVème siècle.

Romain reprit donc là sa vie de prière et de privations, dans la grotte qui porte son nom, dont il défricha les environs. Bientôt les foules se pressèrent à son ermitage et il put travailler à l’extinction du paganisme. Il construisit non loin une première chapelle dédiée à Notre-Dame de Pitié, qui existait encore à la fin du XVIIIème siècle ; puis, adossée au rocher et dominant les eaux, pour conjurer les traditions païennes qui régnaient sur ce site, une autre dédiée à Saint Martin, qui attira un pèlerinage jusqu’au XVIIème siècle. Toutes deux ont disparu.

Pour répondre aux sollicitations à le rejoindre il fonda un monastère en contrebas : la première abbaye « bénédictine » de France. En effet, l’office de Saint Romain (22 mai) du bréviaire de l’Ordre de St-Benoit précise que « Saint Romain, ayant construit un monastère à Druyes, y entretint avec soin les traditions monastiques, s’en fit le propagateur éminent, et entra de suite, d’une manière admirable, dans les intentions et les vues du célèbre patriarche que les moines d’Occident appellent leur père et que saint Romain nomme son élève ».

Un bourg se développa autour du monastère qui avait pris une certaine extension. Les moines défrichaient et cultivaient les terres alentour. Romain entreprit alors de construire une vraie basilique qui devait avoir une certaine importance mais n’a laissé aucune trace. Elle fut détruite par un incendie au XIème siècle, et remplacée par la belle église Saint Romain actuelle, construite à la demande de Guillaume II, comte de Nevers et d’Auxerre (1083-1168), qui aimait ce lieu où il fit également édifier le fameux château sur la hauteur.

                                     

Romain paraît avoir rayonné à Auxerre et dans la région où il aurait accompli plusieurs miracles. Peu avant sa mort il accueillit à Druyes saint Maur, envoyé en Gaule par Benoit, dont il était le premier disciple, pour propager la nouvelle Règle monastique. Pendant son séjour à Druyes, une vision qu’il put partager avec Romain lui aurait révélé la mort de son maître au Mont-Cassin. Mais les dates officielles ne corroborent pas cet évènement.

Romain ne survécut pas longtemps à celui qu’il appelait son élève et s’éteignit à Druyes le 22 mai 543. Il fut inhumé aux pieds de l’autel de sa basilique. Ses reliques furent plus tard transférées pour échapper aux invasions, et dispersées, suivant l’usage du temps. Son monastère, qui avait décliné après sa mort et fut peut-être attaqué par les Normands, fut rebâti à quelque distance en aval, à une date inconnue, en un lieu qu’on nomma Andryes : il devint plus tard le Prieuré Saint Robert d’Andryes, donné à la nouvelle abbaye de la Chaise-Dieu par l’évêque Geoffroy de Champallement (1076), le co-fondateur du Prieuré de La Charité.

Essentiels pour comprendre l’importance de Druyes, cette histoire et son modeste héros, restent méconnus. Mais la grotte surmontée d’une croix est là, au fond de la prairie, pour nous rappeler la mémoire de l’ermite fondateur.

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