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Un Chancelier de France à la Motte-Josserand

(Illustration : esquisse du portrait de G. Jouvenel par Fouquet, Musée de Berlin)

En 1446, un puissant personnage acquiert la Motte-Josserand, forteresse mythique du Donziais : Guillaume Jouvenel des Ursins, Chancelier de France, dont la figure et l’allure imposantes sont bien connues par le portrait qu’en fit Jean Fouquet vers 1460.

Cette même année, le roi Charles avait en effet mandé Jean de La Rivière « naguère commis à la garde de la forteresse…pour mettre ladite place entre les mains de Guillaume Juvénal des Ursins, chancelier de France » (Marolles, col. 275 et 277)

                                                     

Le Chancelier est chargé de l’administration de la Justice dans le royaume ; il est l’ancêtre de notre actuel Garde des Sceaux. En un temps où les secrétaires d’Etat n’existaient pas encore, il était le principal administrateur du pays, aux côtés du roi dans tous ses conseils.

Né en 1400, Guillaume fut nommé à cette fonction par Charles VII en 1445 ; destitué par Louis XI en 1461 ; puis rétabli par ce même roi en 1465, jusqu’à sa mort en 1472, soit 23 années au total. Il joua donc un rôle considérable en cette fin de la Guerre de Cent ans.

Il avait mené une brillante carrière : conseiller au Parlement de Poitiers, Général des finances de la guerre au début du règne de Charles VII, bailli de Sens (1435), non loin de sa région d’origine, puis lieutenant du Gouverneur de Dauphiné (1440) avant d’être nommé Chancelier. Il profitait de la grande réputation de son père qui avait été le premier magistrat du pays.

                                                                       

Il avait été adoubé comme chevalier, honneur suprême pour un bourgeois, lors du sacre de Charles VII en 1429 et portait : « bandé de gueules et d’argent de six pièces, au chef d’argent soutenu d’or, chargé d’une rose de gueules boutonnée d’or soutenu du même ». Il mit constamment en exergue cette accession à la chevalerie, ces couleurs, avec l’épée au côté, comme le montre le saisissant panneau qui le représente derrière son père avec toute sa famille (Musée de Cluny).

                                      

Nicolas Rolin, d’Autun, était son homologue en Bourgogne auprès des Grands ducs d’Occident à la même époque. Tous deux issus de la haute bourgeoisie parlementaire, ils étaient les véritables premiers ministres de leurs états respectifs. Ils présentent bien des traits communs – outre la coiffure « au bol » typique du moyen-âge – dont celui d’avoir acquis de grandes terres grâce à leur influence, à la fortune amassée dans l’exercice de leurs fonctions et à la faveur des souverains.

Guillaume était donc le fils de Jean Jouvenel des Ursins (1355-1431), lui-même fils d’un riche marchand drapier de Troyes, qui l’avait précédé dans de très hautes fonctions : avocat au Parlement, Garde de la Prévôté des Marchands de Paris, président de la Cour des Aides, puis Président du Parlement de Paris. Sa mère, Michelle de Vitry, venait d’une famille de marchands parisiens et était la nièce du marmouset Jean Le Mercier, conseiller aux finances de Charles VI et compagnon de Bureau de la Rivière, que nous connaissons bien et qui a pu suggérer au Chancelier cet investissement en Donziais.

Son frère aîné Jean Jouvenel, historien et diplomate, fut Archevêque de Reims, duc et pair (1449).

Les Jouvenel des Ursins prétendaient descendre d’une branche cadette des Orsini romains dont ils avaient pris les armes. Un certain Juvenal, neveu de Napoléon Orsini, évêque de Metz au début du XIVème siècle, se serait établi à Troyes. Cette prétention peu vraisemblable a été largement contestée. Les auteurs contemporains préfèrent une origine plus prosaïque pour ce nom : celui de la « rue de Lurcine », transformé ensuite en Ursins pour appuyer la revendication italienne vers 1438. Là se trouvait, dans l’Ile de la Cité, l’hôtel que le père de Guillaume avait acheté vers 1405.

Quoiqu’il en soit, Guillaume avait hérité de grands biens, dont la baronnie de Trainel en Champagne où il prit l’habitude de résider quand il n’était pas à Paris, et celle de Marigny. Il avait épousé Geneviève Héron, d’une famille de riches bourgeois de Paris, marchands de grains puis apothicaires, qui lui apporta la terre et le grand château de Thorigny, au diocèse de Sens. La bourgeoisie d’affaires et judiciaire, qui est le cadre familial du Chancelier, prenait son envol en cette fin du XVème siècle et s’essayait au mode de vie de la haute noblesse.

Guillaume Jouvenel fut un grand mécène, commandant de nombreux manuscrits enluminés, suivant l’usage du temps. Le plus célèbre, le Mare historiarum est conservé à la BNF. Il contient 730 miniatures peintes par le « Maître de Jouvenel » et son atelier entre 1447 et 1455. Ce texte a été rédigé par le dominicain Giovanni Colonna (v.1298-v.1343), humaniste proche de Pétrarque, qui raconte l’histoire du monde depuis sa création et plus particulièrement de la ville de Rome jusqu’en 1250 environ. La transcription commença vers 1446, menée par le secrétaire du chancelier, Antoine Disôme, dont son fils épousa la fille. Le travail d’enluminure, exceptionnel, s’arrêta en 1455, laissant le manuscrit partiellement inachevé.

                                                                            

On voit ici le Chancelier dans une illustration du manuscrit, rendant visite à l’atelier de l’artiste.

Guillaume eut un fils : Jean Jouvenel des Ursins, Pannetier du Roi, dont l’Inventaire des Titres de Nevers nous indique qu’il fut « commis par sa Majesté à la garde et au gouvernement des places, forts, terres et seigneuries de la Motte-Josserand, Aultry et Saint-Brisson ». Il n’eut pas de postérité.

Il eut également une fille : Jacquette, héritière de ses possessions, mariée à un sire de Beaujeu, dont elle eut Philibert, sgr de Lignières et de la Motte-Josserand, mort sans postérité.

La Motte-Josserand passa alors à un petit neveu du Chancelier : François Jouvenel des Ursins, qui en fit hommage au comte de Nevers en 1533, et poursuivit un destin chaotique fait d’alliances, de cessions et de divisions.

Le Chancelier résida-t-il dans son château nivernais ? C’est possible, étant donné l’importance de cette terre et de sa forteresse, ainsi qu’en raison des liens qu’il devait avoir avec Bureau de La Rivière. Mais, en raison de ses occupations et de sa préférence pour la Champagne, c’est peu probable. Il en avait fait hommage au comte de Nevers en 1466, mais représenté sans doute.

Haute figure d’une administration royale en cours d’affirmation, Guillaume Jouvenel des Ursins ne fut sans doute châtelain de la Motte-Josserand que par procuration, mais ses héritiers conservèrent cette terre et ce château pendant deux siècles, jusqu’au maréchal de l’Hôpital.

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Des bourgeois dynamiques : les Maignan

(Illustration : la forêt de Donzy)

La famille Maignan, complètement donziaise tout au long de son parcours, illustre parfaitement l’enracinement, l’ascension sociale et l’aspiration nobiliaire de la bourgeoisie rurale, enrichie par les revenus de charges publiques, et parfois ses limites.

Connus depuis le XVIème siècle, les Maignan ont investi les environs immédiats de Donzy. On les retrouve dans bien des lieux et des familles connus des visiteurs de ce site.

Nous en proposons ici une généalogie exhaustive : Famille Maignan

Jean Maignan était licencié-es-Lois, ce qui atteste d’études juridiques poussées, sans doute à Bourges ; notaire, procureur fiscal, et lieutenant particulier au Baillage. Il acquit en 1596 le fief de Savigny, sur une hauteur dominant la Talvanne, avec un moulin en contrebas. Le vendeur était Hubert de La Rivière, vicomte de Tonnerre et de Quincy, seigneur notamment de Colméry, dont Savigny dépendait. Ses descendants conserveront cette petite terre pendant près de deux siècles. Jean jouissait d’autres rentes : notamment la moitié de la dîme de N.-D. du Pré, tenue du duc de Nevers.

Cette acquisition ne lui porta pas chance puisqu’il aurait été assassiné à la fin de la même année par un certain Barachin, concierge des prisons. Son fils aîné, un autre Jean, aurait connu le même sort à Bourges en 1588. On ne connaît pas les tenants et aboutissants de ces règlements de compte – sans doute religieux en cette période où l’on s’entretuait beaucoup sur ce motif -.

Quoiqu’il en soit, son fils cadet François Maignan « de Grignon » (1592-1675), établi comme avocat à Auxerre, est le personnage central de la lignée.

Il avait hérité en 1620 d’un fief urbain de la ville appelé Grignon du nom d’une foire du quartier de Montartre ; fief qui consistait en la jouissance du droit de minage (mesurage des grains à la mine), rémunéré en nature, durant ces foires. Il en avait fait aveu au Roi à cause du comté d’Auxerre, et en avait pris sans trop de scrupule le nom, qu’une branche de la famille conserva jusqu’à la vente du fief en 1701. On voit ici combien le système féodal s’était dilué et bureaucratisé, à la grande satisfaction des heureux bénéficiaires de ces improbables seigneuries.

Il inaugurait dans cette famille l’usage de noms composés, faits à la fois pour s’ennoblir sur des bases terriennes et pour se distinguer d’une autre branche. Comme on peut le voir dans nombre de nos articles, cette pratique fut courante pendant les deux derniers siècles de l’Ancien Régime et reprit plus tard.

François avait contracté une alliance brillante en épousant Catherine du Broc (famille du Broc ), fille du seigneur du Nozet à Pouilly, aujourd’hui une grande propriété viticole, fleuron du Pouilly-Fumé. Il en eut au moins dix enfants, dont six ou sept fils.

L’aîné, Blaise Maignan de Savigny, avocat à son tour, reprit ce bien noble qui avait inauguré l’enracinement foncier des Maignan. Sa fille le fit passer par mariage dans une autre famille.

Le second, Louis, fut la souche des Maignan de Champromain, nom donné à cette branche par le mariage de son fils Jean en 1683 avec l’héritière de ce beau fief ancien aux portes de Donzy, sur une hauteur boisée bordant la Talvanne, qui conserve de belles traces de son passé. Ce fut la plus noble acquisition des Maignan, qui la conservèrent jusqu’à la Révolution. Champromain, dont le nom sonne antique, aurait été détenu par les sires de La Rivière à l’origine, et était passé aux Lamoignon dès la fin du XVème siècle, puis aux Maumigny, avant d’être vendu.

Le troisième, Charles Maignan de Grignon, établi à Auxerre, n’eut pas de postérité.

Le quatrième, Jean Maignan de Pontcharraut, fonda une branche de ce nom après son mariage avec Jeanne Lasné, issue d’une autre vieille famille de la région (famille Lasné ). Elle était l’héritière de cette ferme-manoir sur le plateau entre Nohain et Talvanne, dans l’ancienne paroisse de Bagnaux.

Le cinquième, Michel Maignan de Grignon, également avocat, établi à Druyes-les-Belles-Fontaines et Entrains, n’eut pas de postérité masculine.

Le sixième, Jean Maignan du Colombier, prit le nom d’un domaine situé en aval de Donzy, qui conserve de belles traces de son ancienneté : portail, pigeonnier…etc, dans l’ancienne paroisse de St-Martin-du-Pré. Cette terre lui fut sans doute apportée par son alliance avec Marguerite Frappier, d’un importante famille de Donzy, semblable à bien des égards ( famille Frappier). Mais il n’eut guère de postérité.

Le Colombier fut repris par François Maignan du Coudray, qu’on suppose être le septième fils de François et Catherine du Broc, et qui prit le nom d’une terre située à Couloutre. Ses descendants, sous ces deux noms, exercèrent de modestes charges judiciaires à Donzy.

Savigny et Champromain, terres nobles ; Pontcharraut, le Colombier et le Coudray, simples domaines auto-promus comme seigneuries, étaient à moins d’une heure de marche les uns des autres : on restait à l’ombre des tours de Donzy, avec cependant une échappée auxerroise conforme aux traditions.

Autant vaut dire que les eaux du Nohain et de la Talvanne, leurs barrages, leurs moulins et leurs poissons, n’avaient pas de secrets pour les jeunes Maignan qui allaient par les chemins, en famille à tous les carrefours…

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Hervé III, père de trois croisés

(Illustration : armes de Montmirail)

La notoriété d’Hervé IV, qui avait uni par son mariage Donzy et Nevers, a occulté la personnalité de son père : Hervé III, seigneur de Donzy, Cosne et Saint-Aignan, comte de Gien, un puissant seigneur, brillamment allié, et dont la famille paya un lourd tribu à la reconquête de la Terre Sainte (troisième et quatrième croisades).

On ne connaît pas l’année de sa naissance, mais il succéda à son père Geoffroy IV, vers 1158. (Voyez la notice consacrée à l’histoire de la baronnie de Donzy).

Il fit un mariage prestigieux en épousant en 1169, Mathilde Gouët, fille du baron du Perche-Gouët, Guillaume IV, et petite-fille du roi d’Angleterre Henri Ier Beauclerc. Elle lui apportait le sang de Guillaume le Conquérant et cette importante baronnie, qui comprenait notamment les châteaux de Montmirail, Alluyes, Brou, Authon et La Bazoche, aux confins des départements actuels de l’Eure-et-Loir, du Loir-et-Cher et de la Sarthe. Ancienne possession des évêques de Chartres, le Perche-Gouet avait consolidé son unité en luttant sous la direction des Gouët contre les comtes du Perche. Hervé et Mathilde eurent au moins sept enfants. 

Il épousa en secondes noces une capétienne : Clémence de Bourgogne, fille du duc Hugues II Borel et de Mahaut de Mayenne, dont il eut une fille.

Il avait hérité de la maison de Semur un caractère farouche et entendait gouverner son fief de façon indépendante. Il s’employait aussi à le protéger des ambitions de son puissant voisin le comte de Nevers, Guy, qui tenait également Auxerre et le prenait en tenaille.

A la mort de son beau-père, Hervé eut à lutter contre le comte de Champagne qui occupait le Perche-Gouet. Il fit appel à l’aide du roi Henri II Plantagenêt, cousin de sa femme, qui lui accorda sa protection contre la promesse d’un abandon de ces terres du Perche, mais ne lui fut finalement pas d’un grand secours. Le roi Louis VII redoutait une telle implantation anglaise et considérait cette alliance comme une trahison. Suivant les habitudes de cette époque plus guerrière que diplomatique, il assiégea donc Donzy avec l’aide du comte de Nevers, rasa sa puissante forteresse et détruisit la collégiale et la ville, en 1170.

Hervé dut faire sa soumission pour obtenir le droit de rebâtir un château, ce à quoi il s’employa jusqu’à sa mort en 1187.

Son fils aîné Guillaume de Gien, devenu baron de Donzy, mourut au siège d’Acre en 1191 au cours de la troisième croisade de Philippe Auguste et Richard Cœur-de-Lion, avant même d’avoir été marié.

Le titre baronnial passa à Philippe, le cadet, qui mourut dès 1194 sans enfants d’Alix de Cours-les-Barres. Il échut alors à Hervé IV, troisième fils, qui n’alla pas en Terre Sainte mais fut de l’expédition de Simon de Montfort contre les Albigeois (1208) ainsi qu’à Bouvines.

Geoffroy, le quatrième, fut quant à lui moine de La Charité. Il en fut élu Prieur en 1209. Le cartulaire du prieuré nous indique qu’ayant contesté l’autorité de l’abbé de Cluny venu extirper une hérésie, il fut déposé et excommunié comme « rebelle, dilapidateur et contumace… ».

Renaud de Montmirail, cinquième fils d’Hervé III, partit à son tour en Orient (quatrième croisade), en 1202. Il succomba comme tant d’autres au siège d’Andrinople(1205). Villehardouin confirme sa présence au siège, en compagnie notamment de Louis, comte de Blois, duc de Nicée (1171-1205). Il mourut comme lui quelques jours plus tard, lors de la poursuite des troupes de Kaloyan, tsar des Bulgares de la dynastie Asenide. Pour commémorer son engagement le blason de Montmirail « Burelé d’argent et de sable ; au lion de gueules brochant sur le tout » figure dans la Grande Salle des Croisades à Versailles.

Renaud avait épousé Alix, fille du sire de Beaujeu, Guichard le Grand et de Sybille de Hainaut, mais n’en eut pas d’enfant. Le Perche-Gouet fit alors retour à Hervé IV, devenu comte de Nevers et resta pendant trois générations associé à ce comté…(voyez la notice consacrée à la succession des barons du Perche-Gouet).

Bernard de Donzy, sixième fils d’Hervé III, qui avait accompagné son frère, fut fait prisonnier en 1204 à l’attaque de Constantinople par les francs lors de cette même expédition, et mourut l’année suivante des suites des mauvais traitements subis en captivité.

Cette litanie d’exploits et de drames confirme à la fois l’importance féodale de Donzy au XIIème siècle, à l’égal des plus grands fiefs, avec des alliances princières, et la participation active de ses seigneurs à la grande épopée des Croisades, où leur bannière s’illustra.

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Une grande châtelaine

(Illustration : portrait d’une dame, vers 1500)

Le château de Donzy, abandonné à des capitaines par les comtes de Nevers dès le XIIIème siècle, eut cependant à la fin du XVème une habitante de marque : Françoise d’Albret (1460-1521), comtesse douairière, veuve du capétien Jean de Bourgogne dit « de Clamecy » (1415-1491), duc de Brabant, comte d’Auxerre, de Nevers et de Rethel, baron de Donzy, après son frère aîné Charles et son père Philippe, petit-fils de Philippe le Hardi.

                                                                 

Françoise était d’une branche cadette de la Maison d’Albret, puissante dynastie issue des anciens ducs de Gascogne, habile à négocier de grandes alliances. Arrière-petite-fille du Connétable Charles d’Albret, elle était la grand-tante de Jeanne d’Albret, reine de Navarre, mère du roi Henri IV. Fin du Moyen-âge, aube de la Renaissance : les Albret, maîtres de la France du sud-ouest, étaient partout, proches du pouvoir.

Arnaud-Amanjeu, baron d’Orval, le père de Françoise, richement possessionné en Berry par l’héritage des Sully, portait les armes d’Albret brisées : « de gueules à la bordure engrêlée d’argent et au bâton de sable péri en barre ». Sa mère, Isabelle de La Tour, était fille du comte d’Auvergne et de Boulogne.

                               

Faute de portrait, on ne sait si elle était aussi jolie que riche. Elle avait passé une partie de sa jeunesse en Berry, où sa famille tenait notamment la principauté d’Henrichemont-Boisbelle, petit Etat souverain qu’elle eut en dot, avec d’autres terres et 20.000 livres. Le grand Sully racheta en 1605 ce franc-alleu familial au duc de Nevers.

Jean était veuf pour la seconde fois, sans héritier mâle. Le contrat de mariage, répertorié dans l’Inventaire des Titres de Nevers, fut signé le 3 mars 1479 au château de Châlus, une forteresse du Limousin passée aux Albret, aux pieds de laquelle Richard Cœur-de-Lion avait péri.

Le rôle de Marie d’Albret, sa propre tante et marraine, épouse de Charles, frère aîné de Jean, fut décisif. Marie avait inauguré la série des unions avec des comtes de Nevers et sa famille entendait qu’elle soit renouvelée puisqu’elle n’avait pas eu d’enfant. Tante et nièce, elles devinrent pour quelques années belles-sœurs…Mais Jean avait plus de 65 ans et aucune naissance ne vint couronner ce troisième mariage bien peu exaltant pour une jeune femme.

Pendant leurs dix années de vie commune, Jean et Françoise résidèrent souvent aux châteaux de Decize, Montenoison, Moulins-Engilbert et Donzy, plutôt qu’au vieux château médiéval de Nevers, qui fut d’ailleurs remplacé peu après par le magnifique Palais ducal que nous voyons aujourd’hui.

Le comte Jean pouvait supposer qu’il quitterait ce bas monde avant sa femme. Il lui avait donc attribué en douaire une rente de 2000 livres tournois pris sur les revenus de la baronnie que nous connaissons bien. Quand il mourut en 1491 elle avait 30 ans et résida dès lors à Donzy pour la deuxième partie de sa vie, dans la solitude du veuvage.

                           

On l’imagine, à peine occupée par l’administration d’un douaire somme toute modeste et de ses biens en Berry, se consacrant à la musique et aux lectures, regardant par une croisée gothique la vie s’animer dans la cité en contrebas. Sans doute jouissait-elle de la compagnie de quelques dames d’honneur issues de vieilles familles de la région ou venues de Gascogne et du Berry. Etait-elle persona grata à la Cour de Nevers, et se rendait-elle à celle du roi Louis XII ?

L’intérêt bien compris des héritiers de Nevers de la Maison de Bourgogne était qu’elle vieillit seule…Connut-elle l’amour à Donzy avant d’être trop âgée, alors qu’on l’en avait privée dans sa prime jeunesse ?

De nouvelles comtesses de Nevers se succédèrent pendant cette période : sa belle-fille Elizabeth de Bourgogne, Charlotte de Bourbon, femme d’Engilbert de Clèves, puis sa propre nièce Marie d’Albret, troisième de cette famille, dont l’alliance avec Charles de Clèves – à laquelle elle contribua – mit fin aux conflits de succession. Leur fils François fut le premier duc de Nivernais et Donziais. Ces jeunes princesses lui rendaient-elles visite à Donzy ?

Françoise y mena certainement une vie pieuse. Elle se soucia de la reconstruction de la collégiale Saint-Caradeuc qui avait brûlé en 1488, où elle se rendait en descendant le degré du château. « Jean Baillet, évêque d’Auxerre, s’occupa à réparer ce désastre…Plus tard il fut secondé dans son pieux dessein par Jeanne d’Albret comtesse douairière de Nevers…Cette princesse contribua puissamment à son rétablissement. L’acte est du 12 juin 1508. Il y est dit que ses ancêtres sont les fondateurs de cette église », écrit le chanoine Lebeuf qui confond les prénoms.

Peut-être visitait-elle les abbayes des environs, que les aïeux de son époux avaient fondées : Notre-Dame-du-Pré, prieuré clunisien aux portes de la cité ; Notre-Dame de l’Epeau, où elle pouvait se rendre en marchant le long de la Talvanne ; les sires de la Rivière, inlassables serviteurs des maisons comtales successives, y étaient inhumés ; Bellary, où elle trouvait le calme de la grande forêt et le recueillement aux côtés des pères chartreux. Ces beaux monastères, qu’elle connut animés et accueillants, allaient subir le joug de la commende puis la vengeance huguenote, et ne s’en relèveraient pas.

Au terme d’une existence qui fut sans doute morose, elle mourut à Donzy le 20 mars 1521, âgée de 60 ans, et fut inhumée dans la cathédrale Saint-Cyr de Nevers aux côtés de son époux. Son épitaphe, gravée dans la pierre, est conservée au musée lapidaire de la Porte du Croux.

Des landes de Gascogne aux forteresses du Berry et aux rives du Nohain, le destin de Françoise d’Albret fut singulier. Sa trace est presque effacée.

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