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Les comtes contre les évêques à Cosne

Une controverse larvée opposa tout au long de l’ancien régime les évêques d’Auxerre, qui entendaient maintenir leur suzeraineté historique sur la baronnie de Donzy, aux comtes de Nevers, barons en titre depuis 1199, qui supportaient mal de devoir rendre hommage à un simple évêque, et voulaient unifier l’administration de leurs fiefs. Nous avons rappelé cette rivalité ancestrale, constitutive de la singularité donziaise, en évoquant la question des limites de l’ancien Donziais, ou celle du statut de Châteauneuf-Val-de-Bargis.

Elle trouva aussi un point d’application à Cosne, place stratégique en bord de Loire, au carrefour de plusieurs routes, qui ne pouvait pas ne pas intéresser les comtes. La ville et sa châtellenie étaient partie intégrante du Donziais mais, depuis un accord intervenu en 1157, les comtes de Nevers, mieux armés pour assurer sa défense, avaient la garde du château de Cosne. Il en allait de même à Donzy, Châteauneuf et Entrains. A la fin du moyen-âge les comtes de Nevers appartenant à de grandes maisons princières développèrent une conception extensive de cette mission, empiétant sur les droits des évêques, pourtant très présents ou représentés dans la ville où ils tenaient palais.

Sur le plan architectural ce passé lointain n’est pas complètement effacé : les murailles médiévales ont certes presqu’intégralement disparu, mais le château, forteresse octogonale qui formait le coin sud-ouest de l’enceinte du XIIIème siècle, est toujours là, au cœur de la ville, usé par le temps, transformé et négligé par les hommes (ci-dessous) ; le palais épiscopal, une belle demeure romane du début du XIIIème siècle, réplique en réduction de celui d’Auxerre, est intact sur une place voisine (id.). Le château épiscopal de Villechaud a disparu ; seule subsiste l’ancienne chapelle castrale dédiée à Sainte Brigitte de Suède.

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Pendant la Guerre de Cent Ans, alors que le comté de Nevers était échu aux fils de Philippe Le Hardi, Philippe de Bourgogne, puis Jean de Clamecy, le conflit prit une tournure plus aigüe. Ces princes d’une lignée capétienne qui rivalisait en puissance avec le roi lui-même, tentèrent d’échapper à leurs obligations féodales vis-à-vis des successeurs de Saint Germain et d’Hugues de Chalon, prétendant tenir Donzy du roi comme Nevers.

Dans un article très documenté sur « Les enceintes de la ville de Cosne… », l’éminent historien du Nivernais André Bossuat, décortique les tenants et aboutissants de cette querelle et ses développements judiciaires. Son cœur penche pour l’appartenance auxerroise de son pays d’origine – la vallée du Nohain  – mais cela n’altère pas la rigueur de ses analyses. Il illustre de façon cocasse les implications du droit féodal sur le terrain. A partir de faits anodins – un mur du château qui empiétait d’une toise sur la « justice » de l’évêque ; un chevreuil sauvage abattu par un homme du comte au-delà de la poterne…-, les officiers de Nevers cherchaient querelle à ceux de l’évêque et engageaient d’invraisemblables procédures. C’étaient autant de prétextes pour rouvrir le débat et réaffirmer les ambitions comtales. Mais l’intransigeance des prélats quant à leurs droits s’inscrivait dans une tradition féodale que le Parlement de Paris, familier de cette cause à répétition, reconnut à chaque fois à l’issue d’interminables procès.

Les officiers du comte étaient des seigneurs des environs que nous connaissons. Ils servaient le pouvoir en place. Le baron de Donzy auquel ils devaient hommage pour leurs fiefs était le comte de Nevers lui-même ; il exerçait le ban sur toute la contrée et appartenait à une puissante maison. On se mettait dès lors à son service, sans se préoccuper d’un pouvoir temporel épiscopal venu du fond des âges, qui s’étiolait au fil du temps.

Voyons quelques-uns de ces personnages mentionnés par Bossuat sur le théâtre des offensives comtales à Cosne, heureusement cantonnées au terrain juridique.

En 1380 il y avait là un Carroble, bailli de Donzy, un Frappier, de Nevers, et comme « Capitaine de la Tour de Cosne » – commandement militaire exercé par un noble d’épée – notre ami Jean de Pernay, qui portait le nom d’un fief de Châteauneuf près de Nannay. Il était seigneur de Port-Aubry près de Villechaud, un fief qui lui avait sans doute été concédé en récompense de ses services.

En 1413, le châtelain de Cosne – une fonction de gestion du site castral – était Renaud Lamoignon, sgr de Vielmanay, d’une famille éminemment donziaise que nous connaissons bien : elle a brillé de tous ses feux aux XVIIème et au XVIIIème siècle dans la grande politique.

En 1441, les représentants du comte Jean étaient Jean Tenon, d’une famille neversoise très dévouée, dont le fils sera seigneur de Nanvignes (Menou), et Miles de Pernay, petit-fils de Jean, capitaine de Cosne à son tour, accompagnés de son homologue de Donzy, Guyot Lamoignon, sgr de Vielmanay, Villargeau et Brétignelles, à Pougny, neveu de Renaud, venu en renfort.

En 1450, voici Jean Le Clerc, sgr de Saint-Sauveur, le fils du chancelier de France nommé par le duc de Bourgogne, lieutenant du bailli de Donzy, et Guillaume Coquille, procureur, de la famille du fameux jurisconsulte Guy Coquille, sgr de Romenay et éditeur de la Coutume de Nivernais.

En 1469 l’évêque Pierre de Longueil se trouve sur place pour défendre sa position face au procureur général du comté Guillaume La Miche, de Moulins-Engilbert, et au châtelain de Cosne Jehan Baudu. Le capitaine Miles de Pernay s’est fait porter pâle.

Ce Jehan, dont le nom est très peu cité, est « marchand » à Cosne – un terme qui indiquait plutôt un riche négociant qu’un boutiquier, avec une certaine surface financière, assortie d’une implication dans les affaires publiques -. Il est aussi châtelain de Donzy, Entrains et Châteauneuf : un homme de confiance donc, doté de moyens significatifs. Il est seigneur de Saint-Andelain au milieu du vignoble de Pouilly, une terre obtenue en récompense de ses services. Nous lui connaissons trois filles : Agnès, mariée à Simon Petot, autre riche marchand de Cosne, sgr du Jarrier à La Celle-sur-Loire, puis à Jehan de La Bussière, sgr de Montbenoit à Pougny ; Germaine, dame de St-Andelain, mariée à Jean Guy ; et Perrette, mariée à Philibert Chevalier, sgr du Pavillon à Billy. De beaux « établissements » qui confirment la position de leur père.

Pourtant tous ces aimables capitaines, châtelains et procureurs en seront pour leurs frais : les droits de l’évêque seront constamment réaffirmés par le Parlement, même après l’intégration de Donzy au duché-pairie de Nevers pour François de Clèves, et ne disparaîtront qu’en 1789. En l’an VIII Cosne deviendra une sous-préfecture du département de la Nièvre, et son passé  disputé entre Auxerre et Nevers n’intéressera plus que les historiens du pays…

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Les domaines des moines de Bourras

(Illustration : le site de Bourras)

En évoquant l’histoire de l’abbaye cistercienne de Bourras, à Saint-Malo-en-Donziois, fondée au début du XIIème siècle, nous avons mentionné sa richesse foncière et les innovations que les moines avaient apportées dans cette haute vallée de la Nièvre.

Les patrimoines monastiques exerçaient un irrépressible attrait sur des dignitaires de l’Eglise avides de bénéfices. Pour Bourras ce fut le cas notamment de Louis de Clèves-Fontaine, prieur de La Charité, abbé de Toussaints à Chalons, évêque de Bethléem (à Clamecy), abbé de Bourras en 1609 ; et son neveu Jean qui lui succéda dans tous ses bénéfices. Voyez la généalogie de cette branche de la famille de Nevers issue d’un fils du comte Engilbert, abbé du Tréport (sic !) : les bâtards de Clèves. Nous les avons rencontrés en étudiant les fiefs de Fontaine et de Pougny, qui leur avaient été attribués par le duc, leur cousin.

Malgré la destruction des bâtiments monastiques par les huguenots et le déclin progressif de la vie religieuse jusqu’à sa disparition, quelques traces de ces richesses subsistent. 

Un beau logis abbatial du XVIIIème siècle – qui ressemble à une gentilhommière plutôt qu’à une maison religieuse – atteste que les derniers abbés commendataires entendaient jouir d’un confort digne de leur rang.

                                         

Son bâtisseur fut-il Pierre Langlois de La Fortelle (abbé en 1714), également prieur de Cessy, Coche, St-Malo et Vielmanay, fils d’un Maître des Comptes et petit-fils d’un marchand vinaigrier de la rue Montorgueil ? Ou Pierre de Chauvigny de Blot (1750), chanoine-comte de Lyon, d’une vieille famille d’Auvergne ? Ou encore son neveu Pierre de Rochefort d’Ailly (1760), chanoine de Laon ?

En arpentant cette vallée défrichée et assainie par les premiers moines, on peut voir les traces de ce passé dans les domaines de Bourras-la-Grange, à Champlemy ; de la Bergerie, à Saint-Malo ; de La Rollande, des Maçons, du Pont et de Chaume à Châteauneuf. Ils constituaient un ensemble foncier de plusieurs centaines d’hectares, s’étendant sur plus de 5 kms le long de la Nièvre, cernés de bois sur les hauteurs, accostés de plusieurs moulins.

Ils ont été conservés dans le patrimoine de l’abbaye, sauf exception, jusqu’à sa disparition. Au fil du temps ils furent affermés, car la diminution du nombre de moines, accentuée par la mise en commende, n’autorisait plus l’exploitation directe . Les Cahiers du Val-de-Bargis proposent plusieurs actes notariés des XVIIème et XVIIIème siècles à ce sujet.

Le bail-à-moitié de la Rollande – une forme de métayage très contraignante – est ainsi reconduit par le « vénérable religieux dom François Marie prieur du couvent de l’abbaye royale de Notre Dame de Bourras, y demeurant, paroisse dudit Saint Malo » en 1743, au profit des Jolly, qui constituaient une communauté de parsonniers. C’est ici le prieur claustral qui agit en lieu et place de l’abbé commendataire Langlois. Le bailleur fournit les terres, les bâtiments, le cheptel et même la moitié des semences ; les preneurs paieront en argent et en nature : blés, fil de chanvre, beurre, poulets…etc.

Le Pont et Chaume sont les sites les plus marquants, où de vieux manoirs du XVIème siècle, avec leurs tourelles, subsistent et rappellent les exigences de la défense en ces époques troublées.

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Le Pont est lui aussi affermé en cette année 1743 par « le sieur Jean Baudoin agent des affaires de messire Pierre Langlois de la Fortelle, prestre, docteur de la maison et faculté de Sorbonne, conseiller du Roy en sa cour de parlement à Paris, abbé commendataire de l’abbaye royale Notre Dame de Bourras, prieur seigneur spirituel et temporel du prieuré de Cessy et St-Malo, Coche et Vielmanay, Menou et dépendances… », qui habite à Bourras où l’abbé ne vient que de loin en loin.

Chaume, plus éloigné du siège abbatial, fut sans doute cédé, si l’on en juge par la mention de propriétaires privés : au XVIIème siècle Simon Gallard, avocat en Parlement, époux d’une Le Muet, issue de cette famille qui tenait  Corbelin et jonglait avec les charges ecclésiastiques et judiciaires à Auxerre ; au XVIIIème Hubert Brotot, marchand, fermier de la châtellenie et syndic de Châteauneuf, en est propriétaire et demeure sur place ; son fils Jean-Henri, lieutenant civil et criminel à La Charité afferme Chaume en 1740.

Le moulin à forge en contrebas paraît quant à lui avoir appartenu de longue date à des seigneurs des environs. On le trouve au XVIème siècle aux mains des sires d’Armes, seigneurs de Vergers à Suilly-la-Tour – où se trouvait une importante forge -, et au XVIIème dans celles des Rolland, sgrs d’Arbourse tout proche, qui l’afferment suivant l’usage.

A la veille de la Révolution l’abbaye était en complète déshérence. Deux visiteurs de l’Ordre, D. Martène et D. Durand, cités par l’abbé Charrault, écrivent : « Cette abbaye qui fut considérable, est aujourd’hui tellement ruinée qu’elle ressemble plutôt à une grange qu’à une abbaye en sorte qu’elle est réduite à un seul religieux ».

Ses biens fonciers, préservés par l’administration soigneuse des abbés à leur profit, ne manquaient pas de susciter l’envie dans le voisinage. On relève ainsi une offre d’achat du domaine de La Rollande par son fermier dès 1790, restée sans suite. Ils furent vendus en 1792, suivant le processus officiel.

Le temps passa et on tourna vite la page dans cette vallée isolée, d’autant qu’à Bourras même les traces du passé religieux, honni par certains et oublié par les autres, avaient presqu’intégralement disparu.

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La Talvanne, suite et fin

(Illustration : le Nohain à Donzy)

Après l’Epeau, décrit dans notre précédent article : La Talvanne, III, notre rivière va achever son parcours vers Donzy.

Sur un coteau de la rive droite nous avons laissé Villarnoux, un domaine dont la famille propriétaire, qui appartenait à la bourgeoisie judiciaire, prit le nom avant la Révolution : « Voille de Villarnou ». Elle a donné deux personnages marquants : le portraitiste Jean-Louis Voille, actif à la Cour de Saint-Pétersbourg à la fin du XVIIIème siècle (voir ci-dessous) ; et Jean-Baptiste Voille de Villarnou son cousin (1715 -1784), avocat en Parlement, notaire du duché, lieutenant civil et criminel au Bailliage de Donziais. Le 5 septembre 1769, en sa qualité de premier magistrat de la cité, il avait prononcé le discours d’accueil du dernier duc de Nivernois et Donziois, Louis Jules Mancini-Mazarini, brillant ambassadeur et académicien, dont il avait été le condisciple au collège Louis-le-Grand.

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Une carte détaillée signale un lieu-dit « le Boccard » ultime trace de l’activité métallurgique. C’était un moulin dont le marteau frappait le minerai pour le broyer avant de le porter à fondre dans l’un des fourneaux voisins.

Sur la hauteur en rive gauche on aperçoit les grands arbres de Champromain, vieux fief relevant de Saint-Verain, dont le nom sonne antique et qui conserve tout son charme. Nous en avons étudié l’histoire, qui implique notamment deux grandes familles de la région : les Lamoignon, cités ici dès 1520, et plus tard les Maignan. L’une des dernières « dames de Champromain », Anne Soufflot, qui avait épousé un Maignan en 1744, n’était autre que la sœur de Jacques Germain Soufflot, l’architecte néoclassique du Panthéon, originaire d’Irancy, fameux vignoble en Auxerrois.

Conduite par le mouvement des coteaux qui surplombent Donzy, la Talvanne rejoint le puissant Nohain presqu’au cœur de la ville, après avoir traversé le « Pré Lamoignon ».

Les grands parlementaires de ce nom, maîtres des requêtes, présidents à mortier, intendants et même ministres, le terrible Basville et le fidèle Malesherbes – qui ont laissé à Paris le bel hôtel qui abrite aujourd’hui la Bibliothèque historique de la ville – revendiquaient leur lien avec la souche donziaise, car elle appartenait à l’ancienne noblesse terrienne. Ils avaient acheté des terres dans la région vers 1720, dont Boisjardin, à Ciez, que nous connaissons, sans doute pour accréditer davantage cette origine. Le fief Lamoignon que le nom de ce pré rappelle, était un fief urbain de la famille avec une maison et même une tour, aujourd’hui disparues. Nous avons évoqué les débats qui perdurent autour de cette revendication : « Lamoignon, un fief à Donzy ? »

La Talvanne a maintenant accompli son parcours sinueux depuis les collines boisées de Cessy. A la voir amoindrie par la sécheresse de l’été, on ne devinerait pas les prouesses qu’elle a accomplies du moyen-âge au XIXème siècle, grâce à l’ingéniosité des hommes. Elle a fourni travail et prospérité à des générations de meuniers et de forgerons, et des moyens de subsistance à deux monastères. Elle peut dorénavant se reposer sous le regard attendri des membres de « La Truite ».

 

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Le Pressoir de Châteauneuf

Le fief du Pressour à Châteauneuf, tout proche de l’ancien château des évêques d’Auxerre – passé aux comtes de Nevers dès le XIIème siècle, aujourd’hui disparu – doit tenir son nom du « pressoir banal » de la seigneurie.

Il n’y a pas trace d’un ancien manoir dans ce hameau un peu isolé à l’ouest de Châteauneuf, seul un colombier – attribut seigneurial – retient l’attention.

Ce fief est cité dans la table de l’Inventaire de Marolles, mais aucun acte le concernant n’y figure, peut-être parce qu’il s’agissait d’un arrière-fief (cf. infra). Il est difficile de savoir s’il s’agissait d’un fief foncier classique (doté d’un pressoir), ou du pressoir banal lui-même, mis à disposition des viticulteurs de ces coteaux par le seigneur moyennant versement de droits.

Un acte de 1694 cité par les « Cahiers du Val de Bargis » indique qu’il était alors aux mains des Gascoing de la branche de Demeurs à Urzy, au moins en partie, car les seigneurs de Fonfaye paraissaient en détenir une autre partie. Cela suggère que le Pressour pouvait être un arrière-fief de Fonfaye, passé en partie aux Gascoing par une alliance avec une fille de Guillaume Tenon, à la fin du XVIème siècle.

Mais une origine plus lointaine encore est possible pour ce fief, à partir de la succession des Le Muet, sgr de Nanvignes (Menou), qui étaient originaires de Châteauneuf.

Voyez ci-dessous une notice qui pose ces différentes hypothèses de dévolution du Pressour. Merci de nous apporter votre aide pour en éclaircir les zones d’ombre…

Le Pressour (V1 du 12 fev 2022)

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La Talvanne, III

(Illustration : les ruines de l’abbaye de l’Epeau)

La Talvanne s’approchait de Donzy dans notre précédent article :  La Talvanne, II  et nous allons reprendre son cours.

Rappelons que la force de l’eau était exploitée sans en perdre une goutte. Même le modeste ruisseau de Villiers qui la rejoint en aval de Savigny était équipé. Il alimentait le moulin à farine de Poinçon, moulin banal – c’est-à-dire découlant du ban ou pouvoir seigneurial – de Colméry. Cet équipement était mis à la disposition de la population par le seigneur moyennant le versement de droits, à l’instar des fours ou des pressoirs banaux. Ce statut fut aboli, comme tous les privilèges féodaux, le 4 aout 1789.

Le moulin de Poinçon avait deux roues et fonctionnait grâce à des lâchers d’eau périodiques de la retenue, car le ruisseau était trop faible pour l’alimenter en continu. Il a poursuivi son activité jusqu’à la fin du XIXème siècle, après avoir été vendu à la Révolution comme Bien de la Nation.

Des actes transcrits par les Cahiers du Val de Bargis nous montrent Philippe de Troussebois, seigneur de Launay, Bouhy et Colméry l’amodier en 1685. En 1715, « haute et puissante dame madame Françoise Marie de Clere, relict d’haut et puissant seigneur messire Armand François de Menou vivant chevaillier seigneur marquis de Charnizay, dudit Menou, dame de Colmery et plusieurs autres lieux…» fait de même. En 1737 c’est le fermier de cette terre qui procède à l’affermage.

Au village des Pénissiaux, où le ruisseau rejoint la Talvanne, une autre roue tournait, actionnant une meule. Son statut était peut-être communautaire, c’est-à-dire qu’elle aurait appartenu aux habitants eux-mêmes, ce village n’étant pas mentionné comme fief.

Reprenons notre descente de la vallée : la rivière contourne l’épaulement rocheux où s’établirent les moines cisterciens venus du Val-des-Choux : l’ancien Prieuré de l’Epeau. Nous en avons évoqué l’histoire, de sa fondation par Hervé et Mahaut au début du XIIIème siècle, jusqu’à sa destruction par les calvinistes appuyés par des reîtres allemands à la fin du XVIème. La hauteur de son église gothique témoigne de son prestige passé. Mais la vie religieuse y avait complètement disparu dès avant la Révolution, et l’évêque d’Auxerre avait fait vendre le site en 1770. Il devint dès lors une propriété privée. L’ancien logis abbatial de style bourguignon laissa place à une nouvelle gentilhommière dans la seconde moitié du XIXème siècle, accostée de ces ruines tragiques.

La ferme de l’Aubron, juste en amont de l’abbaye, était un moulin à forge, partie intégrante du temporel monastique, et affermé. D’après l’inventaire proposé par l’excellent dossier « La Nièvre, le royaume des forges » (Musées de la Nièvre, Etudes et documents N°8, 2006), l’activité métallurgique y est attestée de 1754 à 1850 ; sans doute le site avait-il été auparavant le moulin à farine de l’abbaye. L’Aubron comportait « un feu en mazerie, deux feux d’affinerie, une petite forge, un marteau, un soufflet à piston et un lavoir à bras », soit l’attirail complet des petites installations au fil de l’eau. Les forêts donnaient le bois, le minerai était abondant presque en surface, et la force de la rivière entraînait un arbre à cames. A partir de fontes venant de l’Epeau voisin, la forge de l’Aubron produisait 30 à 50 tonnes de petits fers destinés à l’agriculture (essieux, socs…etc.).

                                                                               

Le site industriel de l’Epeau lui-même, en contrebas de l’abbaye, marque l’apogée de l’exploitation de la Talvanne, qui atteint là son plus fort débit. Un bel ensemble immobilier typique des anciennes forges : maison du maître, bâtiments industriels, logements ouvriers, atteste de son importance passée.

Les moines avaient créé ce moulin à forge, précédé par une retenue d’eau pour en optimiser l’exploitation, sans doute au début du XVIIème siècle. Il utilisait les minerais de la Ronce à Vielmanay, ou de la Bretonnière, toute proche : le filon ne traversait-il pas tout le pays d’Entrains à La Charité ? Seule dans cette vallée la forge de l’Epeau mettait en œuvre un haut-fourneau, précurseur de la grande industrie, qui produisit jusqu’à 400 tonnes de fonte par an pour fabriquer notamment des pièces d’ancre pour la Marine. Ces éléments étaient acheminés à Cosne pour y être assemblés. Les forges de Cosne avaient été fondées en 1661 dans l’élan donné par Mazarin, nouveau duc de Nivernais et Donziais, dont le jeune Colbert avait repéré toutes les potentialités minières, forestières et hydrauliques. Il bénéficiait de la puissante chute du Nohain dans la Loire, dûment aménagée, et des capacités de transport du fleuve. Il fut racheté ensuite par Babaud de La Chaussade. Des moulins de la Talvanne aux vaisseaux du Roi, toute une chaine s’articulait, activée par une procession de petits métiers.

Le fourneau et la forge de l’Epeau avaient été affermés dès leurs débuts à de véritables maître de forge, et l’activité ne fut pas affectée par le déclin de l’abbaye et sa chute : les prieurs commendataires y veillaient, dont elle alimentait largement le revenu. La vente de l’ensemble à Claude de La Barre, déjà investi à la Motte-Josserand, la relança. La production fut diversifiée, avec des produits de première fusion comme les plaques de cheminée ou les enclumes, et toute la gamme des fers agricoles. Elle se poursuivit au-delà de 1850 car c’était une installation semi-industrielle. Elle fut cependant remplacée en 1879 par une verrerie, puis par une talonnerie à l’époque contemporaine.

Laissant derrière nous ce site remarquable, sur cette rivière aux deux abbayes, nous achèverons bientôt le cours de la Talvanne dans un dernier article…

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