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Les forges du bassin du Mazou

(Illustration : marteau de forge, dessin)

Le Mazou développe son cours sinueux bordé de prairies sur 28 kms, de sa source au cœur de la forêt des Bertranges – qui fut l’insigne richesse du Prieuré clunisien de La Charité – à la Loire dans laquelle il se jette à Pouilly. Il décrit un vaste arc de cercle en sortant de la forêt par le nord-est, attiré ensuite par le grand fleuve. Il constitue en sa partie centrale une limite sud de l’ancien Donziais.

La plupart des communes traversées appartenaient à la châtellenie de La Marche dans le comté de Nevers et à l’aire d’influence de la grande abbaye : Raveau, Murlin, la Celle-sur-Nièvre, Narcy, Varennes-les-Narcy, Bulcy, Mesves. Seules Chasnay, Nannay, Vielmanay (chât. de Châteauneuf) et Pouilly-sur-Loire (chât. de Donzy), relevaient de notre baronnie et échappaient à la juridiction clunisienne.

(Nous avons cependant étudié plusieurs sites : Narcy, Passy-les-Tours, Bulcy et Neuville, très proches géographiquement et historiquement de notre baronnie.)

Le Mazou a deux groupes d’affluents, au nord l’Asvinsnom d’un hameau de Châteauneuf – sorti quant à lui du massif forestier de Bellary, au cœur duquel Hervé et Mahaut avaient installé les Chartreux, qui le rejoint à Bulcy. Au sud, plusieurs petits cours d’eau sortant des Bertranges se regroupent et viennent le rejoindre à Narcy, mais on est là hors Donziais.

Malgré des débits limités, voire très modestes pour certains de ses affluents, le bassin du Mazou fut un haut lieu de la métallurgie nivernaise traditionnelle, au contact du filon de minerai de fer et de bois à profusion. Nous vous proposons d’en repérer les sites dans la partie qui nous concerne, avec l’aide du fascicule : « La Nièvre, le Royaume des forges » (Musées de la Nièvre, Etudes et documents n°8).

A Chasnay, nous avons évoqué le fief de ce nom associé à celui de La Vernière. Il comprenait une « Petite forge », une « Grosse forge », et le « Haut fourneau de Cramain », en ruines, signalé dès 1456, affermé en 1665 pour la somme considérable de 10.000 livres annuelles, signe de sa prospérité due aux commandes de canons et de boulets pour la Marine royale. Entièrement reconstruit vers 1820, il produira alors de la fonte pour l’usine de Fourchambault avant d’être arrêté définitivement en 1844. Le « moulin du Boulet », juste en amont, faisait partie du même ensemble détenu par les seigneurs de Chasnay et de La Vernière (Lamoignon, Pernay, La Barre et Girard de Busson), généralement affermé.

Le haut fourneau de Cramain

A Nannay, le Fourneau de Guichy (voyez notre page moulins-forges), déjà évoqué, était avec Cramain un site majeur de la vallée. De très beaux restes de cette installation sont toujours visibles, qui produisait jusqu’à 750 tonnes de fonte par an et employait de nombreux techniciens et ouvriers. On trouve en aval le petit « Moulin de Janlard » qui utilisait des fontes de Cramain et fut transformé en moulin à blé vers 1850.

Guichy, la maison du maître de forge

Nous arrivons maintenant à Vielmanay, que nous connaissons bien pour son château romantique : Vieux-Moulin, arrière-fief de la baronnie ecclésiastique de Frasnay. Il est situé sur le mince ruisseau de Bellary, coupé d’étangs retenus par des chaussées antiques, comme le fourneau des Pivotins, berceau de la famille du général-comte de Lespinasse, qui conserve sa belle gentilhommière.

Les Pivotins, maison du maître de forge

 Sur le Mazou, le petit « moulin des Hottes » et les forges de « la Grande Ronce » sur la rive droite, et de « la Petite Ronce » sur la rive gauche, détenues également par les Lespinasse puis par les Beaufils (voir la notice Gérigny), utilisaient des fontes de Guichy, tout proche. Les maîtres de forge y avaient leurs maisons, qui subsistent.

En arrivant à Narcy, le « moulin de Marteauneuf » rappelle par son nom même cette ancienne activité. Il fut reconverti en moulin à blé au XIXème siècle, comme d’autres installations du voisinage – Mignard, Ville, Maurepoux -, dont nous avons étudié la dévolution.

Aujourd’hui la rivière se faufile doucement, à peine accélérée dans ces biefs abandonnés et vaquant parfois dans des étangs voués à la pêche. Les équipements qu’elle actionnait ont presque tous disparu et l’énergie qu’elle produisait est perdue. Sic transit…

 

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10 Châtellenies

(Illustration : le château de Druyes-les-Belles-Fontaines, Yonne)

Nous évoquons régulièrement les châtellenies, des circonscriptions administratives avant la lettre, lieux annexes d’exercice du pouvoir de commandement par les comtes et ducs, barons de Donzy, dotés d’un château et d’officiers. Elle étaient à la tête d’un territoire plus ou moins vaste et des fiefs qu’il contenait, localisés dans les actes par cette appartenance, comme le confirme l’Inventaire des Titres de Nevers qui les mentionne expressément. Elles constituaient un échelon essentiel de la géographie féodale, entre le pouvoir comtal et les populations locales.

Nous reprenons ces désignations dans nos fiches et utilisons ce classement géographique dans nos pages (voir menu principal : Fiefs/Par châtellenie…etc.).

Cette organisation territoriale accompagna l’affirmation de la puissance des grands féodaux après l’effondrement de l’empire carolingien. Elle était en place dès la fin du XIème siècle et subsista au moins formellement jusqu’à la Révolution. Elle rapprochait les suzerains de leurs vassaux et facilitait la défense du territoire. Les châteaux comtaux, généralement importants, fournissaient un abri à la population avoisinante en cas de menace.

On voit couramment dans l’Inventaire des hommages rendus par tel seigneur « pour les choses qu’il tenait dans la châtellenie de Druyes » ; « à cause de Saint-Sauveur » ou « à cause de la Tour de Cosne ». Ces mentions relevées sur des actes originaux par l’équipe de l’abbé de Marolles mettent en évidence la dépendance officielle des fiefs par rapport à ces circonscriptions intermédiaires. L’hommage est donc rendu au comte dans le cadre de l’une de ses châtellenies.

L’ancien Donziais comprenait 6 châtellenies à l’origine (voir l’article sur « les limites du Donziais »), d’importance inégale : Donzy, son siège, la plus vaste ; Entrains et Cosne, anciennes cités gallo-romaines, en amont et en aval de la vallée du Nohain ; Etais, Corvol et Billy dans le bassin de l’Yonne, ces deux dernières tôt réunies.

Après sa réunion au comté de Nevers on rattacha à Donzy au XIIIème siècles les châtellenies de Druyes, Saint-Sauveur et Chatel-Censoir, territoires plus proches d’Auxerre, inclus finalement en 1790 dans le département de l’Yonne. Après de longs débats le Parlement de Paris confirma que Chateauneuf (Val-de-Bargis), à cheval sur la vallée du Mazou et celle de la Nièvre, était bien en Donziais, ce qui avait été contesté, et relevait du Bailliage royal d’Auxerre. Enfin Saint-Verain, dans la vallée de la Vrille, longtemps siège d’une baronnie de même statut que Donzy, dotée de 200 arrière-fiefs, fut repris par le comte de Nevers à la fin du XVème siècle après une succession conflictuelle, et adjoint au Donziais avec rang de châtellenie.

Les châteaux des chefs-lieux en question ne sont pas tous parvenus jusqu’à nous :

  • A Entrains, qui a été une belle cité gallo-romaine où un château aurait existé en lieu et place du palais du gouverneur, toute trace a disparu ;
  • A Etais-la-Sauvin, quelques pans de murailles et traces de fossés subsistent ;
  • A Chateauneuf (hameau de la Tour) et Billy (Château Musard), des mottes pierreuses à quelque distance des villages, rappellent ces sites castraux isolés ;
  • A Corvol, on ne voit que quelques restes d’enceinte et un manoir relativement récent ;
  • A Chatel-Censoir les murailles témoignent du passé de la petite cité qui appartenait de longue date aux barons de la maison de Semur-Chalon, mais en son sommet la construction médiévale a été remplacée par une gentilhommière privée ;
  • A Donzy, dont le premier château avait été détruit en 1170 par le roi, en guerre contre le baron récalcitrant, seule une tour de la forteresse reconstruite au XIIIème siècle subsiste sur son éperon rocheux, accostée d’ajouts privés du XIXème ; ce site pourtant fondateur n’est même pas répertorié dans les ouvrages consacrés aux châteaux du département ;
  • A Saint-Sauveur, la massive Tour Sarrazine rappelle l’importance ancienne de ce chef-lieu, mais le château – aujourd’hui Musée Colette – a été reconstruit au XVIIème siècle par des seigneurs particuliers ;
  • A Cosne, l’enceinte octogonale du vieux fort médiéval qui jouxtait l’ancienne muraille, est toujours là, au cœur de la ville, mais des transformations l’ont défigurée et le site est malheureusement négligé, presqu’oublié ;
  • A Saint-Verain, la forteresse des puissants barons, avec ses longues murailles circulaires et son donjon, construits à l’image peut-être de celles des croisés en Terre Sainte, n’est plus que ruines envahies par la végétation ; seule la belle église romane du prieuré bénédictin englobé dans l’enceinte est intacte ;
  • Seul Druyes, malgré les destructions, conserve l’allure altière du grand château barlong construit vers 1170 par le comte de Nevers Guillaume III sur la hauteur qui domine le bourg et son ancien prieuré, dont l’église romane est intacte.

Le comte entretenait dans chaque site un chatelain et un capitaine, choisis dans la petite noblesse locale, ainsi qu’une garnison. Il y séjournait régulièrement pour rencontrer ses vassaux. L’évêque d’Auxerre, son suzerain pour Donzy, conservait un « droit de gîte » dans ces châteaux. Mahaut de Courtenay, veuve puis remariée au comte Guy de Forez, demeurait couramment à Donzy, à Druyes et à Château-Musard (Billy) et mourut en son château de Coulanges. Il est probable que ces séjours s’espacèrent ensuite et que les moyens militaires furent réduits après la fin des guerres du moyen-âge, alors que les comtes puis ducs appartenaient à des familles princières investies en d’autres provinces et à la Cour. Cet abandon progressif explique, avec bien entendu les désordres des Guerres de religion puis ceux de la Révolution, la destruction presque complète de ces grands édifices médiévaux dont les pierres furent réemployées dans les bourgs.

Nous avons rencontré dans nos pérégrinations quelques chatelains ou capitaines :

  • Helion de Naillac, sgr d’Onzain, gendre du baron de St-Verain, capitaine de Donzy en 1383
  • Jean de Pernay, « chatelain et garde du chastel de Cosne » vers 1380, doté du fief de Port-Aubry ;
  • Guillaume Lamoignon, sgr de Mannay, chatelain de Chateauneuf en 1395 ;
  • Jehan Baudu, sgr de Saint-Andelain, très dévoué aux intérêts du comte opposés à ceux de l’évêque à Cosne, chatelain de cette ville ainsi que de Donzy et Châteauneuf, vers 1480 ;
  • Regnault de Mullot, sgr de Maupertuis, capitaine de Druyes, vers 1500
  • Jehan Buxière (ou de la Bussière), sgr de Montbenoit et du Jarrier, chatelain de Donzy et de St-Verain vers 1540.
  • Louis Gueuble, sgr du Boulay, son successeur, décapité avec son père Lancelot à Bourges en 1550, pour l’assassinat d’un juge de Druyes dont il convoitait la fille, joliment nommée Romaine.

Les sires de La Rivière, dont une branche fournit des Baillis de Nivernais et Donziais, fonction la plus prestigieuse sous les comtes, étaient quant à eux au-dessus de cette condition.

Des terres pouvaient être adjointes à la châtellenie, qui fournissaient un revenu pour l’entretien du château et de la garnison. On trouve quelques traces de leur affermage par le duché à des bourgeois qui les administraient au XVIIIème siècle :

  • Hubert Brotot, marchand, fut « fermier de la châtellenie et syndic de Châteauneuf » en 1740, il était propriétaire du vieux domaine de Chaume acquis des moines de Bourras, où il demeurait ;
  • Jean-François Frappier, maître de forge, d’une vieille famille de Donzy, fut le dernier « fermier général de la Châtellenie de Donzy» en 1788 ; il demeurait à l’Eminence.

Plus curieux, l’apparition dès le XIIIème siècle de vicomtes, c’est-à-dire de délégués du comte, à Entrains et à Druyes, dont le rôle demeure obscur. Ce titre et les biens qui permettaient de le soutenir constituaient des seigneuries particulières qui passèrent de familles en familles jusqu’à la Révolution. Nous en avons résumé l’histoire dans les articles : « Druyes » et « Des vicomtes à Entrains ».

Cette carte féodale est oubliée, mais nos ouvrages de référence permettent de la faire revivre. A l’exception de Cosne, devenue une petite ville industrieuse, siège d’une sous-préfecture, tous les chefs-lieux de châtellenies sont maintenant de modestes villages, rattachés à de vastes cantons dans la Nièvre (Cosne, Pouilly et Clamecy) et dans l’Yonne (Cœur de Puisaye et Vincelles). A l’exception de Druyes, dont le grand château impose toujours sa présence massive sur la colline, et de Saint-Sauveur, les témoignages de cette gloire passée sont bien cachés aujourd’hui.

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« Seigneur », vraiment ?

(Illustration : gisant d’un chevalier)

Un jeune internaute s’interroge : « Dans vos documents, qu’il s’agisse de grands châteaux féodaux ou de petits domaines qui ressemblent aujourd’hui à des fermes, les propriétaires sont toujours appelés « seigneurs » alors qu’ils ne sont pas tous nobles. N’est-ce pas un abus de langage ? »

Cette question est parfaitement légitime : la prolifération des seigneurs à la fin de l’Ancien régime étonne en effet, en Donziais comme ailleurs, compte-tenu de la solennité du mot.

Au début de ses Mémoires, Chateaubriand décrit le système des partages nobles en Bretagne, régi jusqu’à la fin par le droit d’ainesse : les cadets pouvaient être seigneurs de portions de fiefs très modestes. Les cadets de cadets, dont il était lui-même issu, pouvaient donc se retrouver « seigneurs d’un clapier et d’une garenne ». Mais on était en Bretagne et il s’agissait de descendants directs de Brient.

Notre interlocuteur évoque plutôt l’inadéquation de ce titre pour de simples domaines ruraux détenus par des bourgeois. Un retour en arrière sur un système qui avait profondément évolué s’impose ; on y observera que l’appellation de seigneur avait en effet été galvaudée et masquait une grande diversité, mais aussi que le contenu réel de cette qualité s’était étiolé.

Un seigneur était le détenteur d’une seigneurie, en général une terre dotée d’une maison. Le terme vient du latin senior (« l’ancien »), dans le sens de dominus (« le maître de la maison ») souvent employé dans les actes en latin du premier moyen-âge. Il exerçait une autorité sur un territoire concédé par un suzerain, dont il percevait les revenus et qu’il défendait. Le terme dame (du latin domina « maîtresse de la maison ») était employé pour son épouse, ou pour une femme détenant personnellement un fief, par héritage ou par acquisition : ainsi Jeanne de Bazoches, dame de La Motte-Josserand vers 1400.

Le droit féodal distinguait cependant terre et seigneurie. La « terre » était un simple fief grevé de redevances. Ce fief n’était une véritable « seigneurie » que s’il était assorti d’un droit de justice ou de seigneurie (ban), impliquant des pouvoirs supérieurs pour son titulaire. En 1302, Jean de La Rivière acte que « le comte de Nevers lui a donné pouvoir en tout cas de haute justice en sa terre de Flay et appartenances » (Chât. de Corvol). En 1575, Jean d’Angeliers, sgr de Bèze en partie (Chât. de Chatel-Censoir), rendait hommage au duc pour « ladite terre et seigneurie… ».

Il y avait seigneur et seigneur et l’éventail s’était élargi au fil du temps. Le roturier détenteur d’un petit fief qu’il avait acquis grâce aux émoluments d’une charge en était le seigneur, mais il n’appartenait pas au même univers que le représentant d’une lignée chevaleresque qui disposait d’un vaste fief, d’un grand château et de fourches patibulaires pour châtier les coupables. Il y avait aussi des inversions : de riches financiers parvenaient à se rendre maîtres de puissantes seigneuries, et des héritiers de vieilles familles ne disposaient plus que d’un petit manoir entouré de quelques prairies. Tous étaient les seigneurs de leurs fiefs.

Peu de points communs donc, à part cette appellation, entre par exemple Claude de Beaujeu, seigneur de la Maisonfort, vers 1600 – une forteresse des barons de Saint-Verain à Bitry – issu d’une famille de la noblesse franc-comtoise, et André Dupin, seigneur de Croisy à la même époque – fief et moulin sur le Sauzay, à La Chapelle-Saint-André – ; avocat à Varzy, premier connu d’un nom qui deviendra illustre en Nivernais.

La qualité de seigneur n’était pas un titre de noblesse et n’indiquait pas une appartenance à cet ordre. Un simple bourgeois pouvait y accéder, et prendre le nom du fief en conservant son statut de marchand, car les anoblissements aux francs-fiefs avaient disparu au XVIème siècle. Ce cas de figure s’était multiplié au fil du temps comme nos travaux le montrent : ainsi Blaise Maignan, sgr de Savigny à Colméry, avocat donziais dont le père avait acquis ce fief des sires de La Rivière en 1596, ou encore de François Monnot, chanoine d’Auxerre, sgr de Mannay (Vielmanay), un fief des vieux Lamoignon, acquis vers 1650.

Cette qualité ne résultait pas d’une décision expresse d’une autorité seigneuriale ou judiciaire supérieure. Elle était liée à la possession d’un fief, concédé par un suzerain à l’origine, par héritage familial ensuite, par pure et simple acquisition enfin ou par alliance avec l’héritière qui en était la dame. On en devenait le seigneur, nommé ainsi dans les actes : en épousant vers 1480 Laurence Trouvé, « dame de La Rachonnière et des Granges » à Suilly-la-Tour, une terre acquise par son père, un influent bourgeois d’Auxerre, Jean de La Porte, d’une famille de juristes de Paris, lieutenant criminel au Chatelet, était devenu « seigneur des Granges ».

A la fin de l’ancien régime, l’ambition sociale de la bourgeoisie, dont le poids politique et économique s’était considérablement accru, la conduisait à imiter les usages de l’aristocratie terrienne. Certains s’auto-intitulaient donc seigneur de simples domaines ou de lieux-dits et en ajoutaient le nom à leur patronyme. Voyez dans ce registre l’étonnante prospérité de familles de marchands de bois de Chatel-Censoir, les Tenaille « sgr de Vaulabelle », ou les Gandouard « sgr de Montauré ».

Voici donc ce terme de seigneur un peu démythifié.

Les intéressés et les tabellions eurent sans doute conscience que son emploi était passablement emphatique. Ils lui substituèrent parfois celui plus léger de « sieur » – en abrégé « sr » -, une variante édulcorée de la même étymologie, passée dans la langue pour différents usages. Ainsi du « Sieur de Saint-Félix » – une terre si discrète qu’elle est effacée de nos tablettes -, Isaac Lucquet, un officier du régiment de Bussy-Rabutin, établi à Cessy-les-Bois.

Simultanément, le contenu réel, juridique, économique et sociologique de la qualité de seigneur, s’était considérablement amoindri sous l’effet de l’affirmation du pouvoir étatique et de la diversification de l’économie. Les bailliages royaux et leurs officiers avaient progressivement dépouillé les justices seigneuriales et leurs propres baillis de leur rôle. Le service militaire, contrepartie du fief concédé, avait été nationalisé, même si certains régiments appartenaient à de grands seigneurs. La fiscalité et l’administration de l’Etat, sous l’autorité des Intendants, écrasait tout le monde. Les seigneurs conservaient certes des privilèges qui exaspéraient le Tiers et que la Révolution allait abolir. Les actes restaient certes marqués par une terminologie féodale venue du fond des âges et reprise à loisir par des notaires formés au droit coutumier. Mais les vrais pouvoirs subsistants des seigneurs étaient d’ordre économique : ils étaient des propriétaires terriens, dont la puissance résultait de l’étendue de leurs biens, diminuée de la somme de leurs dettes. Lorsqu’ils manifestèrent leur opposition à la Révolution en émigrant, ils en furent dépossédés.

Nous avons traité de cette évolution appliquée au Donziais dans notre synthèse publiée sous le titre : « Terres et Seigneurs en Donziais ».

Le mot seigneur recouvrait donc de sa solennité uniforme une réalité très différenciée et largement vidée de son sens initial. Il nous faut cependant l’utiliser puisqu’il était celui des actes qui étayent nos travaux ; mais notre jeune ami a raison, cela peut paraitre parfois incongru.

 

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Les Couez, à Champlemy

Champlemy était un fief historique du Donziais dont témoigne son vieux château en ruine. Il a été détenu notamment par les sires de La Rivière, et comprenait plusieurs arrière-fiefs dans le voisinage, dont Rosay et Thouez, toujours associés au fief principal, et les Couez, détenu de façon autonome pendant deux siècles, d’où l’attention particulière que ce site discret mérite.

Ce fief des Couez (ou des Couées), cité par Marolles mais sans référence à des actes spécifiques, a été détenu par une famille « du Chaffaut » – qui paraît établie dans la région de Champlemy dès le début du XVIème siècle, et dont Villenaut donne une rapide généalogie -. On ne sait rien des origines de l’implantation de cette famille dans ce fief. Proche du bourg, le fief avait-il été détaché de Champlemy et inféodé, ce qui paraît conforme au mouvement de dissociation progressive qui marquait le régime féodal, ou avait-il été autonome dès l’origine ?

Quoiqu’il en soit, il fut vendu en 1619 à Marguerite de La Magdeleine de Ragny, dame de Champlemy, Rosay et Thouez, veuve de Ludovic de La Rivière, et ainsi réuni à cette terre, sans doute par retour à son ensemble féodal d’origine – voir la notice sur Champlemy -. Champlemy passa ensuite par cession aux Rabutin puis dans d’autres mains.

Une longue ferme-manoir accostée d’une tour et entourée de jardins témoigne de l’ancienneté du domaine des Couez.

Voyez ci-dessous une notice résumant la dévolution de ce fief, associée à Champlemy à partir du XVIIème siècle  :

Les Couez (V1 du 6 oct 2023)

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Saint-Quentin, le moulin, et la Pouvesle…

(Illustration : l’ancien logis abbatial de Saint-Laurent)

Le Moulin de Saint-Quentin, à Saint-Quentin-sur-Nohain, fondé par les moines de Saint-Laurent, a une histoire très ancienne. Il a été cédé plusieurs fois, a été longtemps indivis et affermé par ses différents propriétaires .

Le titre de « seigneur de Saint-Quentin » apparaît dans des actes au début du XVIIème siècle, mais cette terre n’est pas répertoriée par l’Inventaire des Titres de Nevers. Il s’agit d’un arrière-fief de Longrest – la « terre aux Poitevins »  – appartenant au chapitre de Saint-Hilaire de Poitiers, qui avait son siège à Saint-Laurent-l’Abbaye.

Cette terre et le moulin sont alors détenus par les Pellault, conseillers et secrétaires du roi, ou contrôleurs des guerres, établis à Pouilly où ils ont fait construire un bel hôtel, vendu par la dernière héritière (1730) à François de Lespinasse, Sgr des Pivotins, le père du général et du peintre qui y naquirent, – voir cette notice familiale -.

Cet ensemble passe vers 1745, sans doute par acquisition, à Jean Arrivot, bourgeois de Pouilly, connu à Paris comme marchand de vin, puis par alliance aux Berger, originaires de La Charité, également acquéreurs de Favray voisin.

Il n’y a pas de trace castrale propre à St-Quentin. Non loin sur la hauteur, on aperçoit le manoir de Chevroux, un autre arrière-fief de Longrest.

Le domaine de la Pouvesle, proche du bourg et du moulin, tenait sans doute son nom d’un propriétaire du moulin au XVIème siècle. Etait-ce la maison du meunier, un domaine autonome, ou le siège du fief de Saint-Quentin ? Une belle avenue plantée de grands arbres, une maison de maître du XIXème siècle et des traces sur un bâtiment de la ferme (corbeaux de pierre d’une grande cheminée et arcs de fenêtres), attestent du caractère ancien du site.

Ci-dessous une première notice consacrée à ce site. Il faudra approfondir et préciser cette histoire qui reste encore trop fragmentaire. Merci de votre aide !

Saint-Quentin (V1 du 5 oct. 2023)

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