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Une grande châtelaine

(Illustration : portrait d’une dame, vers 1500)

Le château de Donzy, abandonné à des capitaines par les comtes de Nevers dès le XIIIème siècle, eut cependant à la fin du XVème une habitante de marque : Françoise d’Albret (1460-1521), comtesse douairière, veuve du capétien Jean de Bourgogne dit « de Clamecy » (1415-1491), duc de Brabant, comte d’Auxerre, de Nevers et de Rethel, baron de Donzy, après son frère aîné Charles et son père Philippe, petit-fils de Philippe le Hardi.

                                                                 

Françoise était d’une branche cadette de la Maison d’Albret, puissante dynastie issue des anciens ducs de Gascogne, habile à négocier de grandes alliances. Arrière-petite-fille du Connétable Charles d’Albret, elle était la grand-tante de Jeanne d’Albret, reine de Navarre, mère du roi Henri IV. Fin du Moyen-âge, aube de la Renaissance : les Albret, maîtres de la France du sud-ouest, étaient partout, proches du pouvoir.

Arnaud-Amanjeu, baron d’Orval, le père de Françoise, richement possessionné en Berry par l’héritage des Sully, portait les armes d’Albret brisées : « de gueules à la bordure engrêlée d’argent et au bâton de sable péri en barre ». Sa mère, Isabelle de La Tour, était fille du comte d’Auvergne et de Boulogne.

                               

Faute de portrait, on ne sait si elle était aussi jolie que riche. Elle avait passé une partie de sa jeunesse en Berry, où sa famille tenait notamment la principauté d’Henrichemont-Boisbelle, petit Etat souverain qu’elle eut en dot, avec d’autres terres et 20.000 livres. Le grand Sully racheta en 1605 ce franc-alleu familial au duc de Nevers.

Jean était veuf pour la seconde fois, sans héritier mâle. Le contrat de mariage, répertorié dans l’Inventaire des Titres de Nevers, fut signé le 3 mars 1479 au château de Châlus, une forteresse du Limousin passée aux Albret, aux pieds de laquelle Richard Cœur-de-Lion avait péri.

Le rôle de Marie d’Albret, sa propre tante et marraine, épouse de Charles, frère aîné de Jean, fut décisif. Marie avait inauguré la série des unions avec des comtes de Nevers et sa famille entendait qu’elle soit renouvelée puisqu’elle n’avait pas eu d’enfant. Tante et nièce, elles devinrent pour quelques années belles-sœurs…Mais Jean avait plus de 65 ans et aucune naissance ne vint couronner ce troisième mariage bien peu exaltant pour une jeune femme.

Pendant leurs dix années de vie commune, Jean et Françoise résidèrent souvent aux châteaux de Decize, Montenoison, Moulins-Engilbert et Donzy, plutôt qu’au vieux château médiéval de Nevers, qui fut d’ailleurs remplacé peu après par le magnifique Palais ducal que nous voyons aujourd’hui.

Le comte Jean pouvait supposer qu’il quitterait ce bas monde avant sa femme. Il lui avait donc attribué en douaire une rente de 2000 livres tournois pris sur les revenus de la baronnie que nous connaissons bien. Quand il mourut en 1491 elle avait 30 ans et résida dès lors à Donzy pour la deuxième partie de sa vie, dans la solitude du veuvage.

                           

On l’imagine, à peine occupée par l’administration d’un douaire somme toute modeste et de ses biens en Berry, se consacrant à la musique et aux lectures, regardant par une croisée gothique la vie s’animer dans la cité en contrebas. Sans doute jouissait-elle de la compagnie de quelques dames d’honneur issues de vieilles familles de la région ou venues de Gascogne et du Berry. Etait-elle persona grata à la Cour de Nevers, et se rendait-elle à celle du roi Louis XII ?

L’intérêt bien compris des héritiers de Nevers de la Maison de Bourgogne était qu’elle vieillit seule…Connut-elle l’amour à Donzy avant d’être trop âgée, alors qu’on l’en avait privée dans sa prime jeunesse ?

De nouvelles comtesses de Nevers se succédèrent pendant cette période : sa belle-fille Elizabeth de Bourgogne, Charlotte de Bourbon, femme d’Engilbert de Clèves, puis sa propre nièce Marie d’Albret, troisième de cette famille, dont l’alliance avec Charles de Clèves – à laquelle elle contribua – mit fin aux conflits de succession. Leur fils François fut le premier duc de Nivernais et Donziais. Ces jeunes princesses lui rendaient-elles visite à Donzy ?

Françoise y mena certainement une vie pieuse. Elle se soucia de la reconstruction de la collégiale Saint-Caradeuc qui avait brûlé en 1488, où elle se rendait en descendant le degré du château. « Jean Baillet, évêque d’Auxerre, s’occupa à réparer ce désastre…Plus tard il fut secondé dans son pieux dessein par Jeanne d’Albret comtesse douairière de Nevers…Cette princesse contribua puissamment à son rétablissement. L’acte est du 12 juin 1508. Il y est dit que ses ancêtres sont les fondateurs de cette église », écrit le chanoine Lebeuf qui confond les prénoms.

Peut-être visitait-elle les abbayes des environs, que les aïeux de son époux avaient fondées : Notre-Dame-du-Pré, prieuré clunisien aux portes de la cité ; Notre-Dame de l’Epeau, où elle pouvait se rendre en marchant le long de la Talvanne ; les sires de la Rivière, inlassables serviteurs des maisons comtales successives, y étaient inhumés ; Bellary, où elle trouvait le calme de la grande forêt et le recueillement aux côtés des pères chartreux. Ces beaux monastères, qu’elle connut animés et accueillants, allaient subir le joug de la commende puis la vengeance huguenote, et ne s’en relèveraient pas.

Au terme d’une existence qui fut sans doute morose, elle mourut à Donzy le 20 mars 1521, âgée de 60 ans, et fut inhumée dans la cathédrale Saint-Cyr de Nevers aux côtés de son époux. Son épitaphe, gravée dans la pierre, est conservée au musée lapidaire de la Porte du Croux.

Des landes de Gascogne aux forteresses du Berry et aux rives du Nohain, le destin de Françoise d’Albret fut singulier. Sa trace est presque effacée.

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Des évêques de Bethléem en Nivernais

(Illustration : basilique de la Nativité à Bethléem)

Nous avons rencontré dans nos pérégrinations lignagères trois « évêques de Bethléem » aux XVIème et XVIIème siècles :

  • Philibert de Beaujeu, moine de St-Bénigne de Dijon, grand-prieur de St-Germain d’Auxerre, abbé de St-Séverin d’Aire, fut nommé évêque de Bethléem en 1524 ; il était fils de Jehan de Beaujeu (Beaujeu-sur-Saône, en Franche-Comté) et frère de Claude, sgr de la Maison-Fort à Bitry, et d’autres lieux ;
  • Louis de Clèves, prieur commendataire de La Charité, abbé de Toussaint-de-Chalon et de Bourras, fut nommé évêque de Bethléem en 1605 ; il était le fils naturel de François de Clèves, abbé du Tréport, et donc le petit-fils du duc Engilbert (voyez la généalogie de cette branche bâtarde de Clèves) ;
  • Jean de Clèves, neveu du précédent, chanoine de Saint-Augustin, lui aussi prieur de La Charité, abbé de Toussaint et de Bourras, fut évêque de Bethléem après son oncle, en 1615 ; il était le fils de Louis de Clèves, sgr de Fontaine, et donc l’arrière-petit-fils du même duc.

Avaient-ils rejoint la Palestine pour diriger ce diocèse implanté au lieu même de la naissance du Christ ? Non, mais cela mérite explication. En fait le siège épiscopal de Bethléem, créé en 1110 au royaume franc de Jérusalem, avait été transféré à Clamecy après la reprise de la ville par les Sarrasins (1187) et la chute du royaume.

Pourquoi Clamecy ? C’est que là se trouvait, au bord de l’Yonne, un établissement religieux doté d’un petit domaine : l’hôpital de Panténor, créé vers 1150 par le comte de Nevers Guillaume IV pour accueillir des malades de retour de Terre Sainte. Il était confié à la garde d’un chapitre de huit chanoines réguliers de Saint Augustin et comprenait une chapelle. Guillaume avait légué l’ensemble à l’église de Bethléem en 1167, pendant la troisième croisade d’où il ne revint pas, pour servir de refuge en cas de nécessité. Ce fut le cas : Régnier, dernier évêque de ce diocèse en Terre Sainte, s’installa effectivement à Clamecy en 1223.

                                                     

« La même année 1167, écrit Lebeuf (T III, p. 101), Guillaume partit pour aller à la guerre contre les infidèles dans la Terre Sainte, après en avoir fait publiquement le vœu dans l’église du prieuré de La Charité. Il mena avec lui, à ses propres dépens, un grand nombre de soldats, avec lesquels il arriva heureusement dans la Palestine. Mais à peine eut-il pris l’air du pays qui étoit infecté par la peste, qu’il tomba malade. Après avoir longtemps langui, il résolut de faire son testament. Comme il avoit une dévotion particulière pour Bethléem, il demanda d’y être inhumé ; il légua à cette église de la Palestine, l’hôpital de Panténor du faubourg de Clameci avec ses appartenances, pour servir de retraite à l’évêque de Bethléem (Ex Charta Regnerii Ep. Bethlemiii an. 1223), en cas qu’il fut chassé de son siège par les ennemis de la foi, et l’annexa ou soumit à celui de Palestine, du consentement des chevaliers et barons qui étoient dans son armée. Sa mort arriva à Accaron ou Acre, dite autrement Ptolémaïde, le 24 octobre 1168. Son corps fut porté à Bethléem pour y recevoir sa sépulture, par les soins de son frère Gui, qui l’avoit accompagné dans le voyage… »

Jusqu’à la Révolution, dans une fidélité inébranlable de l’Eglise à cette tradition, des prélats furent nommés à ce siège devenu symbolique.

Leur mission était succincte : il fallait certes entretenir la mémoire de cet ancien diocèse oriental, mais elle s’estompa. En fait ces évêques in partibus administraient l’hôpital et son domaine. Certains d’entre eux prétendirent nommer et diriger le modeste clergé qui desservait Panténor rebaptisé Bethléem. Mais c’était déjà trop pour les évêques d’Auxerre, qui considéraient que cette chapelle était sous leur juridiction. Cela leur fut contesté d’ailleurs au XVème siècle par ceux d’Autun, voisins également, malgré un arbitrage rendu dès 1211 en faveur d’Auxerre. Lebeuf rapporte les querelles qui mirent aux prises l’évêque Pierre de Longueil et le cardinal Jean Rolin, d’Autun, fils du grand Chancelier de Bourgogne.

La chapelle originelle de l’hôpital de Bethléem devenu évêché, détruite par les guerres du moyen-âge, fut reconstruite en 1445 dans le style gothique, mais privée de son clocher et de ses chapelles. Ce bâtiment est toujours visible, enchâssé dans le faubourg.

         

Après un épisode révolutionnaire agité au cours duquel elle abrita un « club des Sans-Culottes », elle fut transformée en hôtel au XIXe siècle. Elle est aujourd’hui restaurée et sa nef voutée d’ogives sert toujours de salle à manger à « l’Auberge de la Chapelle ».

                                                       

Le Concordat a remodelé les diocèses. Le pape Pie VII décida alors « que l’évêché de Bethléem-les-Clamecy serait canoniquement annulé, supprimé et éteint à perpétuité. » L’ensemble du département de la Nièvre passa sous la juridiction de Nevers. Plusieurs prélats demanderont ensuite que leur soit conféré le titre d’évêque in partibus de Bethléem, ce qui leur sera toujours refusé. En 1840 ce titre fut donné à l’abbé de Saint Maurice d’Agaune en Valais, haut lieu chrétien de l’ancien royaume de Bourgogne.

En 1849, Mrg Dufêtre réorganisa son diocèse. Voulant perpétuer le souvenir de Bethléem, il donna ce nom à l’archidiaconé de Clamecy, Cosne et La Charité, qui fut confié à Mgr Crosnier, vicaire général et historien émérite du Nivernais.

Au faubourg de Clamecy érigé en paroisse, une église dite de Bethléem, fut construite sous le second Empire, remplacée vers 1930 par une nouvelle, construite en béton dans le goût byzantin pour rappeler cette histoire. Elle surprend toujours un peu le visiteur qui traverse l’Yonne.

                    

On comprendrait sans peine qu’entre l’affectation profane de leur chapelle, sous laquelle ils ont été sans doute ensevelis, et ce monument improbable de la modernité qui se mire dans l’Yonne, nos vieux évêques de Bethléem se retournent dans leurs tombes…

 

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Des ecclésiastiques historiens

Les ecclésiastiques ont été de tous temps des historiens émérites.

Préparés par des « humanités classiques » dans lesquelles l’histoire tenait une large place, impliqués dans la conservation du patrimoine religieux, et baignés de l’amour du terroir qu’ils arpentaient, certains d’entre eux se sont beaucoup investis. On ne compte plus les ouvrages qu’ils ont publiés.

Le premier grand historien du Donziais n’est-il pas le chanoine Jean Lebeuf (1687-1760), avec ses « Mémoires concernant l’histoire civile et ecclésiastique d’Auxerre et de son ancien diocèse » (Auxerre, Perriquet, 1743) auquel nous nous référons souvent ?

Le XIXème siècle et les débuts du XXème ont été l’âge d’or de ces travaux érudits, dont certains font toujours référence, même s’ils ne sont pas exempts d’approximations ou d’erreurs. Un mouvement contemporain de réédition et le succès des versions numérisées, confirment l’intérêt qu’ils suscitent.

Cette source s’est progressivement tarie au rythme de la diminution du nombre de prêtres, du déclin du monde rural et de l’évolution profonde de la science historique elle-même. Ils n’ont pas été remplacés, mais de nouvelles approches se font jour : les universitaires s’intéressent à l’histoire régionale, comme illustrant un mouvement plus général (cf. Georges Duby et le Mâconnais) ; les moyens techniques actuels offrent aux amateurs des opportunités nouvelles de publication et d’échange. Ce site en est un modeste exemple.

Quoiqu’il en soit, nous voulons vous faire découvrir ou mieux connaître trois inlassables prêtres, dont les travaux ont largement contribué à éclairer notre histoire locale : Mgr Augustin Crosnier, le chanoine Jacques Baudiau, et l’abbé Lucien Charrault.

 Mgr Augustin Crosnier (1803-1880)

Augustin Crosnier, fils de commerçants de Nevers, fit ses études à Autun puis à Nevers et y fut ordonné en 1828. Il fut notamment curé de St-Parize-le-Chatel et doyen de Donzy, où il s’employa à faire restaurer l’église Saint-Caradeuc (voyez sa notice historique pour l’inauguration en 1842, grâce à l’excellent site « Cahiers-du-Val-de-Bargis« )

                                            

Il fut à partir de 1850 Vicaire général du diocèse, avec le titre d’Archidiacre de Bethléem qui rappelait cet évêché symbolique. Le pape Pie IX lui accorda en 1855 le titre de Protonotaire apostolique. II ne cessa de remplir ces fonctions auprès des évêques successifs, montrant une grande compétence juridique et administrative.

Animé d’une passion pour l’histoire locale et le patrimoine religieux, Mgr Crosnier a multiplié les articles et les publications et peut être considéré comme l’historien du catholicisme dans la région. Il fonda la « Société nivernaise des lettres, sciences et arts » en 1851, dont le Bulletin est une source inépuisable, et en fut le président jusqu’à sa mort.

Dans son œuvre abondante, consacrée au Nivernais en général, à l’histoire religieuse et à Nevers en particulier, relevons tout spécialement en ce qui nous concerne : « Tableau synoptique de l’histoire du Nivernais et du Donziais » (Nevers, Fay, 1841) ; et ses travaux sur les congrégations religieuses qui éclairent l’histoire des principaux monastères de la région : « Congrégations religieuses d’hommes dans le diocèse de Nevers » (Nevers, Michot, 1877) et « Congrégations religieuses de femmes dans le diocèse de Nevers » (id. 1881).

Le Chanoine Jacques-F. Baudiau (1809-1880)

Né dans une famille de cultivateurs de Planchez, en Morvan ; ordonné prêtre en 1833, Jacques-François Baudiau, fut notamment curé de Montigny-sur-Canne, de Dun-les-Places, et enfin d’Entrains-sur-Nohain, en Donziais.

Il est l’auteur de deux ouvrages d’histoire et de géographie locales, imprégnés d’une grande érudition et d’un vif attachement à ces terroirs : « Le Morvand, ou essai géographique, topographique et historique sur cette contrée » (1854, 2 tomes, chez Fay à Nevers ; réédité en 1865, 3 tomes) reste un ouvrage de référence, qui porte un œil curieux et précis sur l’histoire de cette contrée, à cheval sur quatre départements, et sur ses nombreux sites historiques. On y trouve des indications précieuses sur les implantations d’anciennes lignées rencontrées au long de nos pérégrinations. Il a été réédité récemment par la librairie Voillot d’Avallon (1990, 3 tomes).

Nous concernant plus directement, son « Histoire d’Entrains depuis les temps les plus reculés jusqu’à nos jours. » (1879, Nevers, Vallières), est riche en renseignements sur l’histoire de cette ancienne cité gallo-romaine, dotée au moyen-âge d’un vicomte, et dont les environs recèlent de très nombreux sites castraux dans cette haute vallée du Nohain.

L’abbé Lucien Charrault (1870-1953)

Né dans une famille d’artisans à Châteauneuf-Val-de-Bargis, Lucien Charrault fut ordonné prêtre du diocèse de Nevers en 1895. Il fut notamment curé d’Alligny-en-Morvan puis doyen de Montsauche-Les Settons, et se retira à Colméry.

Il publia plusieurs ouvrages relatifs à l’histoire du Morvan, et, en ce qui nous concerne ici : une « Histoire de Châteauneuf-Val-de-Bargis et de la chartreuse de Bellary » (1908), sous l’égide de la Société nivernaise des lettres, sciences et arts dont il était membre.

Il y affiche un positionnement personnel franchement hostile à la Révolution française, comme c’était souvent le cas du clergé de ce temps-là – en particulier au lendemain de la Séparation de 1905 – stigmatisant les exactions commises vis-à-vis des pauvres moines subsistants à Bellary et la vente de leurs biens.

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Le style de ces bons prêtres est un peu démodé et leur histoire parfois microscopique, mais leurs travaux sont uniques et donc précieux, et leur compagnie très agréable. Merci à eux !

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La Charité en Donziais ?

Il y a quelque temps un internaute s’interrogeait  : La Charité, située autrefois dans le diocèse d’Auxerre et co-fondée par l’évêque Geoffroy de Champallement, était-elle en Donziais ? Relevait-elle de l’évêque, du comte de Nevers ou du baron de Donzy ?

Une réponse institutionnelle simple s’impose dès l’abord : du point de vue ecclésial le monastère, clunisien dès sa refondation en 1059, releva d’abord de sa maison-mère de Cluny, et bénéficia également du « privilège d’exemption »,  c’est-à-dire d’une totale autonomie par rapport à l’évêque d’Auxerre  – confirmée par le Pape.

Re-fondé et re-baptisé au moment même où la seigneurie de Donzy s’affirmait, Seyr – son nom originel – se trouvait aux marges occidentales de l’espace contrôlé par la maison de Chalon-Semur.

Immédiatement au sud, le château de la Marche et ses seigneurs, donateurs initiaux puis adversaires du prieuré, étaient des vassaux des comtes de Nevers. Immédiatement au nord et à l’est se trouvaient des fiefs soumis à la suzeraineté de Donzy (châtellenies de Donzy et de Chateauneuf).

Son autonomie  s’étendait à son emprise foncière sur les paroisses environnantes : Bulcy, Mesves, Pouilly, Saint-Andelain, Narcy, Raveau, Dompierre-sur-Nièvre, Saint-Bonnot, y inclus la grande forêt des Bertranges.

Sa fondation par le comte de Nevers Guillaume Ier, peut suggérer que Seyr-La Charité était plutôt du côté de Nevers. Les successeurs de Guillaume se déclarèrent d’ailleurs constamment « protecteurs » de La Charité. La Marche devint le chef-lieu d’une châtellenie du comté.

Bref, le Prieuré Notre-Dame de La Charité, dont le territoire était intercalé entre les deux grands fiefs ensuite réunis, n’était pas en Donziais, et c’est pourquoi nous ne l’avons pas inclus dans notre périmètre.

L’extension rapide de son temporel par acquisitions et donations des seigneurs voisins, se fit certes au détriment du territoire contrôlé par les barons de Donzy : voir par exemple le cas de Pouilly. Nous avons proposé dans cet article récent, une petite étude sur les Prieurs de La Charité, qui en furent les « seigneurs ».

Quoiqu’il en soit, les grandes abbatiales de Vézelay au levant et de La Charité au couchant étendent toujours leurs ombres bienfaitrices sur notre petite contrée, avec laquelle les liens ont été constamment étroits. 

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Pouilly, le vin des moines

Pouilly-sur-Loire, gros bourg d’origine médiévale, doit son développement et sa prospérité à son vignoble (Pouilly). Son histoire propre est largement méconnue car la cité vécut dans l’ombre du grand monastère clunisien de La Charité dont elle dépendait – qui n’était pas quant à lui en Donziais -. Elle n’a fait l’objet d’aucune véritable étude et la configuration ancienne du château et de la ville n’a pas été représentée.

Née de La Rochelle et Lebeuf rappellent que cette Pauliaca villa appartenait au VIIème siècle, à Saint Vigile, évêque d’Auxerre, qui la légua au monastère de Notre-Dame-La-d’Hors qu’il avait fondé hors des murs de la ville.

On ne sait dans quelles circonstances – violentes sans doute et avant l’an mil – elle passa aux mains de seigneurs laïcs. On sait par contre que cette famille la céda au monastère clunisien naissant à la fin du XIème siècle.

Yves Sassier dans son travail sur le comté d’Auxerre, décrit cet épisode fondateur : «  Très caractéristique nous paraît, à cet égard, l’exemple de la villa de Pouilly-sur-Loire : dans la seconde moitié du XIème siècle, elle était aux mains d’une famille chevaleresque, les Bonvassal, attachée au château de Huban-en-Nivernais. En 1084, Ancel Bonvassal et ses trois frères, Hugues, Humbaud et Aganon, ont fait à La Charité l’aumône de la moitié de la potestas du lieu et des manants qui en relevaient, tam viros quam mulieres ubicumque abeantur ; en outre Ancel a concédé au prieuré une grange avec sa curtis, le champart de la réserve qui en dépendait, et plusieurs familles de paysans. Ancel et son puîné Hugues, ont dû trépasser quelque temps plus tard : en 1089 un placitum réuni à Dompierre-sur-Nièvre a permis la passation d’une convention entre le monastère et les deux survivants, Humbaud et Aganon. Aux termes de cet accord, chaque partie a reconnu devoir partager avec l’autre tout ce que, dans le futur, elle acquerrait au sein de la poesté, tam in casatis, quam in terris sive redditibus diversis. Mais on a aussi été plus loin. En effet l’aîné, Humbaud, a accepté qu’à la mort d’Aganon son cadet, la moitié de ce que celui-ci possédait en propre à Pouilly entre dans le dominium des moines. Très probablement ces derniers ont pu obtenir une telle clause en arguant que ce n’était là, somme toute, qu’une application du principe du partage égal ; une application qui en réalité, devait provoquer à terme un appauvrissement du lignage des Bonvassal et brisait donc, au profit du prieuré, l’équilibre défini plus haut. Aganon dut mourir quelque temps après, et La Charité toucher sa part d’héritage. La croisade fit le reste : Humbaud le Blanc, en partance pour Jérusalem et à court d’argent, donna au prieuré ses terres de Pouilly et de Charant, et quicquid omnino habeao in terra absque retentione ulla, non sans, il est vrai, se réserver expressément la faculté de rachat à son retour de Terre Sainte. Vraisemblablement il n’en revint pas, et le lignage fut éliminé du domaine de Pouilly, entièrement acquis au monastère…. »

Les prieurs de La Charité furent donc « seigneurs de Pouilly » es-qualité du XIème siècle à la Révolution. Ils administrèrent la cité et eurent à cœur d’en développer le vignoble.

D’abord réguliers puis « commendataires », ils furent pour la plupart des dignitaires de l’Eglise issus de puissantes familles, tant étaient grands le prestige et l’influence de la « fille aînée de Cluny », antichambre de l’abbatiat, d’un siège épiscopal ou même du chapeau de cardinal. Firent-ils seulement arrêt à leur château de Pouilly au cours de leurs voyages d’un « bénéfice » à l’autre ou vers Rome, pour y goûter le vin de leurs vignes ?

Veuillez trouver ici une étude – à compléter – sur les  Prieurs de La Charité

La petite cité prit une certaine extension autour du château, réputé datant de l’époque carolingienne ; une enceinte quadrangulaire l’entoura et sa vie s’écoula au fil des vendanges, troublée par les guerres mais sous la puissante protection des moines.

De l’édifice castral ancien reconstruit au XIIIème siècle, ne subsistent que les fondations. Il avait subi les assauts de la Guerre de Cent ans et fut reconstruit par Jean de La Magdeleine, dernier prieur régulier au début du XVIème siècle. Abîmé par les guerres de religion, il fut à nouveau rebâti en 1651 par le prieur Pierre Payen, dans le goût classique, ouvrant par de hautes fenêtres sur le Val de Loire. C’est cet édifice tout en hauteur qu’on voit aujourd’hui.

                                       

A la Révolution, comme tous les biens de l’abbaye, le fief et le château furent vendus par la Nation. Ce dernier fut acquis par Etienne Lafond (1756-1828), négociant en vins parisien, qui allait se rendre maître également du Nozet en 1798, un ancien domaine des moines. Ce patrimoine prestigieux appartient à ses descendants.

Le vignoble quant à lui entra dans une nouvelle ère, marquée par l’essor de petites propriétés familiales qui le caractérisent toujours aujourd’hui – à l’exception du Nozet et de Tracy, ces vieux fiefs que nous connaissons -.

Cette façade viticole du Donziais, entre Cosne et La Charité, est riante et prospère. Elle nous rappelle que si l’ancienne baronnie était bourguignonne, son terroir occidental appartenait à l’espace ligérien et bénéficiait des bienfaits du grand fleuve.

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